Alain Porte et Nisargadatta Maharaj

Sri Nisargadatta Maharaj ? Un personnage hors du commun. Il reçoit à l’entresol de sa maison. Une échelle de meunier conduit au sanc­tuaire. La chambre ne contient guère plus de 20 personnes à la fois. Près de l’étroite baie grillagée, Maharaj vit, assis en tailleur. Il fume des bidies, 4 ou 5 bouffées et la cigarette est vivement jetée dans un pot en cuivre. L’encens se consume à foison. Sa Présence fait surgir un espace : l’océan. On est au coude à coude, mais jamais d’oppression, malgré l’exiguïté des lieux.

Près de Maharaj, face à l’audience, le cartel des traducteurs, carre­four des questions et des réponses. Ces relais du dialogue sont souvent des média frustrants ; ils connaissent si bien le « sujet » qu’ils ne résis­tent pas aux pieuses délices de s’offrir un petit récital personnel. D’un mot bref, d’une locution, ils tirent la farine d’un paragraphe entier.

Maintenant, le public est plongé dans un mutisme méditatif : les questions sont encore volutes, le cri du cœur chemine dans le silence.

La spontanéité de Maharaj peut nouer les langues, épaissir l’émotivité jusqu’à l’état de sang caillé. Jamais je n’ai rencontré un guru qui dégage une telle puissance vitale ! Ses yeux sont de feu noir, ils vous percent sans vous jauger, leur acuité est totale.

Son énergie existe, une énergie libre. Une aisance si physique qu’on en subit la contagion : on se sent hissé vers une respiration plus large, vers une détente, mais en même temps, on perçoit ses propres aspérités, on se découvre des courbatures centenaires.

L’homme est vivant en diable : il scande sa réponse (les mots cré­pitent) en martelant sa cuisse du plat de la main. Il peut lever les bras au ciel et les agiter comme deux sémaphores, ou bien exploser de rire, littéralement. Il peut encore houspiller l’assistance qui, du coup, en avale langue et quant-à-soi.

« Posez des questions, nous sommes là pour parler, pas pour dor­mir ! Sinon, allez-vous-en ! »

De telles sorties incitent les auditeurs à se terrer comme des lapins quand le tonnerre tire le canon, ou à aplatir le padmâsana (position du lotus en yoga) jusqu’au chapati ( galette indienne). Soit. Pourtant, où est l’agressivité ? Où est la hargne ? Je n’en ai trouvé miette.

On le dit « réalisé ». Il dit « Je suis ». II ne dit rien d’autre. Il ne vit rien d’autre. « Il est ». Il a la vigueur du fait nu : Une vérité si incan­descente qu’elle effraie. Maharaj n’est pas un tiède. « Je ne suis pas ce corps », dit-il, « Je suis ».

Ce sont des mots sans verbalisme. C’est la transmission d’une expé­rience et celui qui parle, c’est le Témoin de cet état.

alain porte et Nisargadatta Maharaj

Alain Porte