David Godman et Nisargadatta Maharaj

Témoignage de David Godman sur un de ses séjours au près de  Nisargadatta Maharaj.

En 1980, je voulais aller voir Maharaj, mais je n’avais pas du tout d’argent. je ne pouvais pas me payer un billet de train, et je n’avais vraiment pas les moyens de séjourner à Mumbai plus d’un ou deux jours. J’ai accepté une invitation à faire un exposé sur Bhagavan ( Ramana Maharshi) à l’occasion d’un séminaire à Delhi, à condition que mon trajet de retour passe par Mumbai. Mon Billet de train était payé par les organisateurs, qui prirent en charge ses aménagements du voyage. Mes piètres ressources me permettraient de passer deux jours à Bombay, aussi ai-je réservé mes billets comme cela se fait en inde, où vous devez les réserver au moins sept à dix jours à l’avance afin d’avoir le train que vous souhaitez.

Je fis mon discours à Delhi et pris ensuite le train pour Mumbai. Dans le train de banlieue qui allait de la gare centrale à Grant  Road, tout m’a été volé : mon argent, mon passeport ( en fait un document provisoire qu’on m’avait accordé, en attendant un nouveau passeport), et mon billet de train pour la suite. il y a toujours une bousculade quand tout le monde se rue dans le wagon en même temps. Dans la mêlée générale, quelqu’un s’était débrouillé pour inciser le fond de mon sac et dérober mon porte-feuille. Ma première réaction fut en fait de l’administration. Le boulot avait été si habilement exécuté, si professionnel! L’incision était à peined’un demi -pouce plus grande que la taille du porte-feuille, et l’opération entière avait été menée à bien en deux secondes, tandis que je faisais de mon mieux pour monter dans le train.

Heureusement, mon billet de train pour le transport local était dans la poche de ma chemise. À  cette époque, il y avait une pénalité de 10 roupies ( environ 20 cents US selon le change d’aujourd’hui) pour voyager sans billet, et je n’aurais pas été capable de la payer, si je n’avais pas été en mesure de le présenter.

Je crois que je n’avais qu’un peu plus d’une roupie en menue monnaie dans une de mes poches de pantalon. C’était là toute ma richesse matérielle. Je me rendis à pied jusqu’à la dixième rue, Khetwadi, celle où vivait Maharaj, je consacrai toute ma monnaie à une tasse de thé et à un journal du matin. Il était très tôt, et je savais qu’il s’écoulerait deux bonnes heure avant que n’apparaisse quelqu’un de mes  connaissances. Je ne voulais pas aller raconter à Maharaj que j’avais été détroussé, parce que j’avais vu comment il avait réagi vis- à vis d’autres personnes dans cette situation. J’espérais fair un emprunt auprès de quelqu’un que je connaissais et ensuite trouver un parquet où dormir, car sans passeport, il m’aurait été impossible d’être accepté à l’hotel.

Jean Dunn se montra à peu près au moment que j’attendais, et je lui racontai ce qui était arrivé. Je la connaissais bien, car elle avait vécu à Ramanashram pendant deux ans avant de commencer à rendre visite à Maharaj à Mumbai. Elle me prêta quelques centaines de roupies, qui seraient vraisemblablement suffisantes pour un séjour de 48 heures à Mumbai et pour mon retour à Tiruvannamalai. Je projetais d’aller plus tard dans la matinée à la gare afin de faire émettre un nouvel exemplaire de mon billet de route.

Maharaj avait, cependant, pour moi d’autre plans. Quelqu’un lui apprit que j’avais été dévalisé dans un train de banlieue et je me faisais tout petit pour la causerie attendue. Contre toute attente, il fut incroyablement compatissant. Il parla à l’un des assistants, un cadre bancaire, et lui demanda de m’héberger pour la durée de mon séjour. J’aboutis dans une très belle maison dans un très bon quartier de Mumbai. un changement radical avec les logis infestés de punaises que j’avais l’habitude de fréquenter. Plus tard dans la matinée, je me suis  rendu à la gare pour me procurer un nouveau billet. À ma grande stupéfaction, il n’y avait aucune réservation à mon nom dans les trains qui partaient pour madras. À cette époque, il n’y avait pas d’ordinateurs, toutes les réservations étaient portées à la main dans de grands registres. Un fonctionnaire des chemins de fer très courtois et très bien veillant ( vous n’en rencontrez pas beaucoup en Inde, quand vous n’êtes pas affilié à un guru) passa deux heures à compulser minutieusement tous les registres afin de trouver le détails de mon billet. il y a environ 750 personnes par train, et je crois qu’il y avait trois ou quatre trains pour Madras  le jour où j’avais prévu de partir. À près avoir passé en revue pour moi plus de 2000 noms, il m’annonça avec regret que je n’avais  de réservation dans aucun trains qui partaient ce jour-là. Je commençais à supposer qu’un puissance voulait que je reste, car de pareilles anomalies sont très rares dans le système de réservation indien. En vingt-sept ans de voyages ferroviaires, je ne suis jamais, au grand jamais, arrivé à une gare pour découvrir que mon billet réservé n’existait tout simplement pas. Je n’avais pas d’autre choix que d’aller acheter un nouveau billet, ce que je fis avec l’argent emprunté à Jean. Le prochain train avec une couchette libre ne partait pas avant plus de deux semaines, ce qui voulait dire que j’avais beaucoup de temps disponible à passer auprès de Maharaj.

J’étais venu avec très peu d’argent, m’attendant à une visite de deux jours. Au lieu de quoi, bienveillance de Maharaj et mystérieux événement au bureau ferroviaire des réservations,  je bénéficiais d’une résidence de luxe pour deux semaines dans la maison d’un adepte.

Je fis mon retour dans la maison de Maharaj pour découvrir que quelqu’un lui avait parlé de l’exposé que j’avais fait à Delhi, quelques jours plus tôt, sur les enseignements de Ramana Maharshi. C’était quelque chose que je désirais passer sous silence. Maharaj considérait d’un oeil sévère les personnes qui, sans avoir atteint l’éveil, tenaient des discours publics sur ceux qui étaient des êtres d’éveil. Je m’étais livré à cet exercice uniquement pour avoir les moyens de venir le voir, mais je me doutais bien que pour lui ce ne serait pas une assez bonne excuse.

Je me rendis compte qu’il était très au courant de mon exposé à Delhi, car lorsque j’entrai dans la pièce, il m’appela et me demanda de venir devant. Je me levai et vins m’asseoir en face de lui à la place où se tenaient habituellement les questionneurs.

“Non, non”, dit-il,”asseyez-vous près de moi, le visage tourné vers les autres personnes”.

Je perdis pied. je savais que je n’apprécierais pas ce qu’il avait dans son esprit, quoi que ce fût.

“Regardez ma petite pièce”, commença-t-il, ” seulement trente personnes viennent m’écouter, viennent m’entendre parler. Mais David, qui est ici, vient juste de délivrer une conférence spirituelle à Delhi? Des centaines de personnes sont venues l’écouter, aussi doit-il être bien meilleur que moi. Donc aujourd’hui c’est lui qui va nous faire un exposé.”

C’était pire que tout ce que j’aurais pu imaginer quand il m’a fait venir près de lui. J’essayai sans succès de me dérober à cette invitation. Quand je compris qu’il n’allait pa faire machine arrière, Je fournis un résumé de cinq minutes du texte que j’avais lu à Delhi. Il était question de l’unité à trouver, dans les enseignements de Bhagavad, entre les pratiques d’abandon et sa propre investigation. Un des traducteurs me demanda de  m’exprimer lentement afin qu’il puisse donner une version suivie à Maharaj. Tout le temps que dura mon exposé, Maharaj ne cessa de me lancer des regards furieux. je pense qu’il attendait de se jeter sur moi si j’émettais une observation avec laquelle il était en désaccord. j’allai jusqu’à la fin de mon résumé sans être interrompu par quelque commentaire cinglant de Maharaj. J’estimais que c’était, en soi, une réussite tout à fait exemplaire.

Àprès ma conclusion, il me regarda et dit d’une voix presque douce: ” Je ne peux rien contester de tout ce que vous avez dit. Tout ce que vous avez dit est correct.”

Ensuite, il fut remonté à bloc et dit avec puissance et vigueur: “Mais abstenez-vous d’aller donner des conférences sur la façon d’atteindre l’éveil, à moinsque vous ne soyez vous-même en état d’éveil. Sinon vous finirez comme Wolter Keers.”

Je vous ai déjà dit ce qu’il pensait de Wolter Keers et de ses activités d’enseignement. C’était un sort que j’étais résolu à éviter; Tout cela s’est déroulé voici vingt-trois ans. et depuis, je n’ai plus donné de conférence publique.

Il faut que je presse le pas, au point où j’en suis et j’aille à la fin de l’histoire. Je revins à Truvanamalai plus de deux semaines plus tard. je n’avais pas de rentrée d’argent, ni l’espoir d’en recevoir de personne, et j’avais une dette de plusieurs centaines de roupies à l’égard de Jean. Le lendemain matin, je suis allé travailler à la bibliothèque de l’ashram, et j’ai trouvé sur mon bureau une enveloppe orange portant mon nom. Je trouvai à l’intérieur une liasse de billets de banque. Je les comptai et je découvris que c’était exactement le montant qui m’avait été volé à Mumbai, pas une roupie de plus, pas une roupie de moins. Rien n’indiquait qui avait placé là cet argent, et personne à Tiruvanamalai n’a eu d’informations sur le vol. Je n’en avais parlé à personne, et moins de vingt- quatre heures après mon retour à Tiruvanamalai, l’enveloppe a fait son apparition.

Je crois que toute cette aventure a été orchestrée par la puissance qui veille sur les affaires des adeptes qui ont besoin vital d’être avec un guru. Cette puissance m’a conduit à Mumbai, a dérobé argent et billet de train, effacé toute trace de mes réservations sur le registres ferroviaires, organisé pour moi un excellent hébergement pendant plus de deux semaines, m’a fait revenir à Tiruvannamalai où elle m’a restitué tout mon argent par le truchement d’un donateur anonyme.

Autre anecdote, toujours rapportée par David Godman, qui permet de mieux cerner le quotidien de Maharaj et sa relation à ceux qui lui rendaient visite.

Maharaj demandait toujours où vous logiez quand vous veniez le voir pour la première fois. Si vous disiez ” Poornima”, il savait soit que vous aviez peu d’argent, soit que vous étiez très vigilant dans vos dépenses. il approuvait nettement les personnes qui ne gaspillaient pas leur argent, et qui savaient  bien marchander quand elles allaient faire leurs courses. Il avait passé toute sa vie dans les affaires, et il connaissait la valeur d’une roupie, et cela l’agaçait considérablement de voir des étrangers gaspiller leur argent ou être lésés.

Un matin où j’étais là, des visiteurs lui offraient des fleurs et des sucreries. Des gens apportaient des fleurs pour orner les portraits à l’occasion de la guru puma qui avait lieu tous les matins, et d’autres personnes apportaient des sucreries qui seraient distribuées comme prasad (offrandes) à la fin de la puja. Ce jour-là, trois femmes, des étrangères, se tenaient devant lui avec des fleurs qui avaient leur tiges – ce qui voulait dire qu’elles espéraient qu’il les place dans les vases rangés près de lui. Il demanda à la première combien elle les avait payées, et quand elle le lui dit, il fut consterné. Il se mit en colère contre elle,  lui déclara qu’elle avait été bernée, et il refusa d’accepter les fleurs. La seconde femme essuya le même traitement. Les fleurs de la troisième furent acceptées parce qu’elle avait un peu marchandé et fait baisser le prix à un montant raisonnable. La dévotion ne semblait pas jouer un rôle quand il s’agissait de faire accepter vos fleurs. La meilleur façon d’agir pour que vos fleurs soient admises dans son vase, c’était de marchander férocement et d’obtenir un prix qu’il jugerait satisfaisant.

Maintenant que la question des fleurs est close, je dois faire une digression en évoquant un peu le bhajan et la guru puma qui se déroulaient entre la méditation  et la séance de questions-réponses. C’était la seule occasion où Maharaj acceptait qu’on l’entoure de guirlandes. après avoir reçu les guirlandes, il se tenait au milieu de la pièce, frappant des cymbales au rythme du bhajan qui était chanté. En général, ses yeux restaient clos. Au début, il commençait par de petites cymbales qui avaient 2,5 ou 5 cm de diamètre. À mesure que le bhajan s’animait, il passait à des cymbales de plus en plus grandes qu’un assistant lui transmettait. La plus grande paire était d’une taille presque équivalente à deux couvercles de poubelles. Ces cymbales étaient énormes, et le bruit qu’elles provoquaient était fracassant. on pouvait les entendre à plusieurs rues de distance. Quand Maharaj en arrivait à cette très grosse  paire de cymbales, il avait déjà été orné de beaucoup de guirlandes, qui formaient devant lui une masse volumineuse, dont l’épaisseur atteignait parfois presque soixante centimètres. Il était impossible de produire des coups de cymbales sans disloquer les guirlandes. maharaja frappait les cymbales en gardant les yeux clos, et chaque fois que les  cymbales se heurtent, les pétales des fleurs s’envolaient dans toutes les directions.  À la fin, il y en avait partout, le plancher était recouvert par les fragments de fleurs qu’il avait brisées, dont il avait arrosé la pièce. C’était un spectacle magnifique, et je ne me lassais jamais de le voir frapper ses cymbales et répandre des fleurs dans toutes le directions.

Extrait du livre “Auprès de Nisargadatta maharaj” aux éd. Accarias l’originel de David Godman, traduit par Alain Porte.