Je suis – entretien 60 – au sujet du bien et du mal

Entretien 60 –

Visiteur: Vous dites que tout ce que vous voyez est vous-même. Vous admettez également voir le monde comme nous le voyons. Voici le journal du jour, avec toutes ses horreurs quotidiennes. Puisque le monde est vous-même, comment pouvez justifier une conduite aussi aberrante ?

Nisargadatta Maharaj: Quel monde avez-vous à l’esprit ?
V: Le monde qui nous est commun, celui dans lequel nous vivons.

N.M: Êtes-vous sûr que nous vivons dans le même monde ? Je ne parle pas de la nature, de l’océan et de la terre, des plantes et des animaux. Ils ne sont pas un problème, ni l’espace illimité, le temps infini ou la puissance inépuisable. Ne vous laissez pas égarer parce que je mange et que je fume, parce que je lis et parle. Ni mon esprit ni ma vie ne sont ici. Votre monde, celui des désirs et des assouvissements, des peurs et des dérobades, n’est définitivement, pas le mien. Je ne le perçois même pas, sauf au travers de ce que vous m’en dites. Il est votre monde de rêve privé, et ma seule réaction, à son encontre, sera de vous demander de cesser de rêver.

V: Mais les guerres, les révolutions ne peuvent pas être des rêves ! Une mère malade, des enfants affamés, ce ne sont pas des rêves ! La richesse mal acquise et dont on fait mauvais usage, ce n’est pas un rêve !

N.M: Et quoi d’autre ?
V: Un rêve ne peut pas être partagé.

N.M: Pas plus qu’on ne peut partager l’état de veille. Les trois états (de la veille, du rêve et du sommeil) sont subjectifs, personnels, intimes. Ils apparaissent tous les trois dans cette petite bulle de conscience qu’on appelle « moi », et sont contenus en elle. Le monde réel est au-delà du moi.

V: Moi ou pas, les faits sont réels.

N.M: Bien sûr, les faits sont réels ! Je vis au milieu d’eux. Mais vous vivez parmi des chimères. Les faits ne s’entrechoquent jamais, alors que votre vie et votre monde sont un tissu de contradictions. Les contradictions sont la marque du faux ; le réel ne se contredit jamais.

Par exemple, vous vous plaignez que des gens vivent dans une misère profonde. Malgré cela vous ne partagez pas tout ce qui vous appartient avec eux. La guerre, quand elle est à votre porte, vous inquiète, mais vous lui accordez à peine une pensée quand elle se déroule au loin. Les fortunes changeantes de votre ego déterminent vos valeurs. Vous érigez en absolus « je pense », « je veux », « je dois ».

V: Il n’en reste pas moins que le mal est réel.

N.M: Pas plus réel que vous ne Fêtes. Le mal se situe dans la fausse approche des problèmes que provoquent l’incompréhension et les abus. C’est un cercle vicieux.

V: Peut-on briser le cercle ?

N;M: Un faux cercle n’a pas besoin d’être brisé. Il suffit de le voir pour ce qu’il est – inexistant.

V: Il est assez réel pour nous courber sous les outrages et les atrocités qu’il nous inflige.

N.M: La démence est universelle, la santé mentale est rare. Il y a cependant de l’espoir parce que, dès l’instant où nous prenons conscience de notre démence, nous sommes sur la voie de la santé. C’est là la fonction du Guru nous faire voir la folie de notre vie quotidienne. La vie vous rend conscient, le maître vous éveille.

V: Vous n’êtes, Monsieur, ni le premier ni le dernier. Il y a eu depuis des temps immémoriaux des individus qui se sont éveillés à la réalité. Et cependant, comme ils ont peu influencé nos vies ! Les Ramas et les Krishnas, les Bouddhas et les Christs sont venus, puis ils s’en sont allés, et nous sommes toujours ce que nous sommes : vautrés dans la sueur, les larmes et le sang. Qu’ont fait ces grands éveillés, de la vie desquels nous avons été les témoins ? Et vous-même, Monsieur, qu’avez-vous fait pour tirer le monde de l’esclavage ?

N.M: Vous seul pouvez défaire le mal que vous avez créé. C’est l’égoïsme endurci qui en est la base. Commencez par mettre de l’ordre dans votre maison et vous verrez que vous aurez fait votre part.

V: Les hommes de sagesse et d’amour, qui vinrent avant nous, mirent de l’ordre en eux-mêmes, parfois au prix d’immenses efforts. Quel en est le résultat ? Une étoile filante, si brillante soit-elle, ne rend pas la nuit moins noire.

N.M: Pour les juger, et juger leur travaux, il faut que vous deveniez l’un d’entre eux. La grenouille dans sa mare ne connaît rien des oiseaux qui sont dans les cieux.

V: Voulez-vous dire qu’il n’y a pas de mur entre le bien et mal ?

N.M: Il n’y a pas de mur parce qu’il n’y a ni bien ni mal. Chaque situation ne comporte que le nécessaire et l’inutile. Ce qui est nécessaire est bien, ce qui ne l’est pas est mal.

V: Qui en décide ?

N.M: La situation décide. Chaque situation est un défi à relever. Quand la réponse est bonne, nous l’avons relevé avec succès et le problème disparaît. Si la réponse est mauvaise, nous avons échoué et le problème reste irrésolu. Vos problèmes non résolus – voilà ce qui constitue votre karma. Résolvez-les correctement et vous serez libre.

V: Il me semble que vous me rameniez toujours à moi. Les problèmes du monde mont-ils pas de solution objective ?

N.M: Les problèmes du monde furent créés par d’innombrables personnes qui vous ressemblaient, chacune d’elles pleine de ses désirs et de ses peurs. Qui peut vous libérer de votre passé individuel ou social, si ce n’est vous-même ? Et comment y parviendrez-vous si vous ne percevez pas le besoin urgent que vous avez d’être d’abord libéré de vos passions nées de l’illusion. Comment pouvez-vous véritablement aider tant que vous avez vous-même besoin d’aide ?

V: En quelle manière les anciens sages nous aidèrent-ils ? Comment nous aidez- vous ? Quelques individus en profitent, sans doute vos instructions et votre exemple peuvent signifier beaucoup pour eux mais en quoi cela affectent-il l’humanité, la totalité de la vie et de la conscience ? Vous dites être le monde, et que le monde est vous quel impact avez-vous produit sur lui ?

N.M: A quelle sorte d’impact vous attendez-vous ?

V: L’homme est stupide, égoïste, cruel.
N.M: L’homme est aussi sage, aimant, bon.
V: Pourquoi la bonté ne règne-t-elle pas alors ?

N.M: Elle le fait – dans mon monde, le monde réel. Là, même ce que vous appelez le mal sert le bien, il est par conséquent nécessaire. Il est comme les furoncles et la fièvre qui purifient le corps et ses impuretés. La maladie est douloureuse, dangereuse même, mais convenablement traitée, elle assainit.

V: Ou tue.

N.M: Dans certains cas, la mort est le meilleur remède. Une vie peut être pire que la mort qui n’est que rarement une expérience déplaisante, quelles que soient les apparences. Ayez donc pitié des vivants, non des morts. Cette question des choses bonnes ou mauvaises n’existe pas dans mon monde. Le nécessaire est bien, le non- nécessaire est mal. Dans le vôtre le plaisant est bon, le pénible mauvais.

V: Qu’est-ce qui est nécessaire ?

N.M: Croître est nécessaire, se dépasser est nécessaire. Laisser derrière soi le bon pour le meilleur est nécessaire.

V: A quelle fin ?

N.M: La fin est dans le commencement. Vous finissez là d’où vous êtes parti – dans l’absolu.

V: Mais alors, pourquoi se donner toute cette peine ? Pour en revenir à mon point de départ.

N.M: La peine de qui ? Quelle peine ? Avez-vous pitié de la graine qui va se développer et se multiplier jusqu’à ce qu’elle devienne une puissante forêt ? Tuez-vous l’enfant pour lui épargner l’ennui de vivre ? Qu’y a-t-il de mal dans la vie, toujours plus de vie? Débarrassez-vous des obstacles à la croissance et tous vos problèmes personnels, sociaux, économiques et politiques se dissoudront tout simplement. En tant que tout, l’univers est parfait et l’effort du particulier vers la perfection est un chemin de joie. Sacrifiez de bon coeur l’imparfait au parfait et il ne sera plus question de bien ou de mal.

V: Et malgré tout, nous avons peur du meilleur et nous nous attachons au pire. N.M: C’est là notre bêtise, qui frôle la folie.

Nisargadatta Maharaj

Entretien 60 du recueil d’enseignements ” Je suis” aux éditions des 2 Océans

4 réponses sur “Je suis – entretien 60 – au sujet du bien et du mal”

  1. Superbe !!! J’ai écouté, en premier, You Tube et j’ai été fascinée, par le texte bien sûr mais aussi par les explications que vous en donnez, si simples et qui permettent de mieux éliminer les résistances du mental sur un tel sujet, surtout en ce moment.
    Puissiez-vous continuer à nous ouvrir à ces textes de Nisargadatta et à la joie intérieure qui en découle !
    Merci, merci, merci.

  2. Oui , ces enseignements sont précieux! Nisargadatta nous ramène inlassablement à voir ce qui nous sépare de nous même, de notre véritable Nature.
    Merci pour votre retour
    Bien à vous
    ✨🙏✨

  3. je te suis depuis quelques temps jean Philippe et gràce à tes vidéos, je découvre l’enseignement de Nisargadatta Maharaj; je ne puis que humblement (comme tu le fais à chaque fois ) exprimer ma gratitude face à ces éclaircissements qui me conduisent (nous tous) vers le Réel – même si rien n’est simple pour le mental ! 🙂 parallèlement je lis aussi UCEM (Un cours en Miracles) tout se rejoint dans l’absolu, non ? bien à toi

  4. Bienvenue,

    Oui, les chemins peuvent être multiples et m^me si il s’agit en fait d’un processus , il se vit à travers chaque être d’une manière unique. UCem amène beaucoup d’êtres à emprunter un cheminement non-duel de retour à Soi. Des voies différentes peuvent parfois s’éclairer l’une l’autre, d’autre fois elles peuvent être source de confusion. C’est à chacun d’être à l’écoute.
    La vérité est simple. l’histoire est compliquée.
    Bien à vous
    En unité d’Être

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