Nisargadatta Maharaj

Biographie de Shri Nisargadatta Maharaj

 

Difficile exercice que celui de présenter Nisargadatta Maharaj sans avoir l’impression de ne livrer que des informations périphériques sur celui qui ne cesse de répéter que toute individualité, en commençant par la sienne, n’est qu’illusion et que seul le Soi est.

 

Nisargadatta Maharaj est né le 17 avril 1897, sous le nom de Māruti Sivrampant Kambli – le jour de la fête d’Hanumān, le dieu-singe fervent disciple de Rāma. C’est ainsi que le prénom de Māruti (autre nom d’Hanumān) lui fut donné par ses parents.

Il grandit au sein de cette famille très pieuse de simples paysans de l’état du mahāraṣṭra en Inde. Maruti est le second de six enfants.

Il ne montre pas grand intérêt pour les études et ne reçoit pas d’éducation formelle, mais son enfance est imprégnée des conversations spirituelles entre son père et un brahmane qui leur rendait visite régulièrement.

En 1920, à vingt-trois ans, cinq ans après le décès de son père, il part rejoindre à Mumbai son frère aîné, pour travailler et subvenir aux besoins du reste de la famille. C’est dans cette grande ville qu’il passera la presque totalité de sa vie.

Travaillant d’abord dans un office notarial, il crée ensuite un petit commerce de vente de tabac, bīdī ( cigarettes indiennes de tendu) et produits alimentaires. Plusieurs autres suivront ( jusqu’ à sept) et le mettront à la tête d’une quarantaine d’employés.

A vingt-sept ans, il se marie à Sumatibāi. Il aura un fils et trois filles.

Sa vie spirituelle n’en est pas pour autant délaissée.

Rencontre avec son maître Shri Siddharameshwar Maharaj

En 1933, à l’age de trente-six ans, suite aux requêtes insistantes de son ami Yasvantro Bagkar, il rencontre pour la première fois celui qui sera son Guru. Il s’agit de Siddharameshwar Maharaj (1888-1936), un maître de la lignée  Navnath sampradāya. Une lignée constituée de maîtres, restant pour la plupart, impliqués dans une vie professionnelle et familiale. La transmission de cette lignée a pour objet de permettre la reconnaissance de notre Véritable Nature impersonnelle et intemporelle – la réalisation du Soi. La transmission se fait entre autres par l’ initiation formelle que Māruti reçoit à sa troisième visite. Dans l’année qui suit, un profond changement s’opère en lui. Cela l’amène à délivrer des enseignements spontanés aux clients de ses boutiques.

La clarté et la puissance de ses enseignements se développent. Certains viennent pour obtenir sa bénédiction, voire même une guérison. Son maître Siddharameshwar, lui demande expressément de ne pas poursuivre dans cette voie, tout comme il lui conseille aussi de ne pas poursuivre dans l’écriture de poèmes spirituels, afin de ne pas disperser l’approfondissement de la reconnaissance du Soi qui s’opère en lui.

C’est à cette époque que Māruti prend le nom de Nisargadatta (littéralement : ce qui est donné spontanément), en référence à la façon dont ses poèmes et ses enseignements lui viennent.

Pendant les deux ans et demi ou il pourra bénéficier de la présence physique de Siddharamheswar, ils se voient trois à quatre fois par an.

Mon Guru (Siddharameswar) me dit:

“Retourne à l’état de pure présence, là où le  ‘ Je suis ‘ est encore dans sa toute pureté, sans être contaminé par  ‘je suis ceci ou je suis cela ‘. Ta souffrance est constituées de fausses identifications. Débarrasse-toi de toutes. »

                                                     Sri Siddharameshwar Maharaj

Tout son temps libre est mis à disposition pour la méditation, la lecture des textes sacrés, et les célébration de bhajana.

Voici ce que répond Nisargadatta Maharaj aux questions qui lui sont posées sur cette étape de sa vie:

Question: Avons-nous la permission de demander comment vous vous êtes réalisé ?

Nisargadatta Maharaj: Dans mon cas, ce fut quand même très simple et facile. Avant de mourir, mon Guru, Siddharameswhar Maharaj, m’a dit : « Crois-moi, tu es la Réalité Suprême. Ne doute pas de mes paroles, ne sois pas incrédule. Je te dis la vérité. Sers-toi en. » Je ne pouvais pas oublier ses paroles et en n’oubliant pas – je me suis réalisé.

Q: Mais qu’étiez-vous en train de faire?

N.M : Rien de spécial. Je vivais ma vie, exerçais mon commerce, voyais ma famille, et je consacrais chaque moment libre à me rappeler de mon Guru et de ses paroles. Il mourut aussitôt après et je n’avais que sa mémoire sur laquelle me rabattre. C’était suffisant.

Lorsque j’ai rencontré mon Guru, il m’a dit: «Tu n’es pas ce pour quoi tu te prends. Trouve ce que tu es. Surveille l’impression «Je suis», trouve ton Soi réel. » Je lui ai obéi, parce que j’avais confiance en lui. J’ai fait ce qu’il m’avait dit. Je passais tous mes temps libres à m’observer en silence. Et quelle différence cela a fait, et à quelle allure ! Cela n’a pris que trois ans pour réaliser ma vraie nature. Mon Guru est décédé peu après que je l’ai eu rencontré, mais cela n’a fait aucune différence. Je me suis rappelé ce qu’il m’avait dit et j’ai persévéré.

Q: (un visiteur différent) – Dites-moi s’il-vous-plaît, quel est le plus court chemin vers la réalisation ?

N.M : Aucun chemin n’est court ou long, mais quelques personnes sont plus sérieuses et d’autres moins. Je peux vous parler de moi. J’étais un homme simple, mais je faisais confiance à mon maître. Ce qu’il m’a dit de faire, je l’ai fait. Il m’a dit de me concentrer sur «Je suis» – je l’ai fait. Il m’a dit que j’étais au-delà de tout ce qui est percevable et concevable – j’ai cru. Je lui ai donné mon cœur et mon âme, mon attention entière et tout mon temps libre (je devais travailler pour garder ma famille en vie). La foi et l’application sérieuse m’ont amené à réaliser mon Soi en moins de trois ans. Vous pouvez choisir n’importe quelle façon qui vous convient, votre sérieux déterminera la vitesse du progrès.

Q: Cela a dû être la grâce et le pouvoir de votre Guru ?

N.M : Ses paroles étaient vraies et ainsi elles se sont réalisées. Les mots vrais se réalisent toujours. Mon Guru n’a rien fait ; ses paroles ont agi parce qu’elles étaient vraies. Quoi que j’aie pu faire venait de l’intérieur, sans demande et sans attente.

Q: Le Guru a débuté un processus sans n’en prendre aucune part?

N.M : Dis-le comme vous préfèrez. Les choses arrivent comme elles arrivent – qui peut dire pourquoi et comment ? Je n’ai rien fait délibérément. Tout est venu de lui-même – le désir de laisser aller, d’être seul, d’aller à l’intérieur.

Q : Vous n’avez donc fait aucun effort ?

N.M : Aucun. Croyez-le ou non, je n’avais même pas hâte de me réaliser. Il m’a seulement dit que je suis le Suprême et puis il quitta son corps. Je ne pouvais tout simplement pas ne pas le croire. Le reste s’est produit de lui-même. Je me suis vu changer – c’est tout. À vrai dire, j’en étais étonné.

Mais un désir réel de vérifier ses paroles se leva en moi. J’étais tellement certain qu’il ne pouvait avoir menti, que j’ai senti devoir réaliser l’entière signification de ses paroles ou bien mourir. Je me sentais assez déterminé, mais sans savoir quoi faire. Je passais des heures à penser à lui et à son assurance, sans argumenter, mais seulement en me rappelant ce qu’il m’avait dit.

Q : Que vous-êtes-t-il arrivé alors ? Comment avez-vous réalisé que vous étiez le Suprême ?

N.M : Personne n’est venu me le dire. Ni même de l’intérieur. En fait, c’était seulement au début quand je faisais des efforts, que je passais à travers d’étranges expériences ; voyant des lumières, entendant des voix, rencontrant des dieux et déesses et conversant avec eux.

Dès que le Guru m’a dit : «Tu es la Réalité Suprême», les visions et les transes cessèrent et je devins très calme et simple.

Je me sentis désirant et sachant de moins en moins, jusqu’à ce que je puisse dire dans un étonnement complet: «Je ne sais rien, je ne veux rien».

Q : Étiez-vous réellement libre de désir et de connaissance, ou vous faisiez-vous passer pour un jñāni d’après l’image qui vous fut donné par votre Guru ?

N.M : On ne me donna aucune image, pas plus que j’en avais une. Mon Guru ne m’a jamais dit à quoi m’attendre.

Q : Plus de choses peuvent vous arriver. Êtes-vous à la fin de votre voyage ?

N.M : Il n’y a jamais eu de voyage. Je suis, comme j’ai toujours été.

Q : Quelle était la Réalité Suprême à laquelle vous étiez supposée parvenir ?

N.M : Je n’étais pas désappointé, c’est tout. J’étais habitué à créer un monde et à le peupler – maintenant je ne le fais plus.

Q : Où demeurez-vous alors ?

N.M : Dans le vide au-delà d’être et de non-être, au-delà de la conscience. Ce vide est aussi plénitude ; ne me plaignez pas. C’est comme un homme qui dit : «J’ai fait mon travail, il n’y a plus rien à faire».

Je ne vois aucune différence entre vous et moi. Ma vie est une succession d’événements, tout comme la vôtre. Je suis seulement détaché et vois le spectacle passant comme un spectacle passager, tandis que vous demeurez collé aux choses et vous vous déplacez avec elles.

Ayant réalisé que je suis un avec, et cependant au-delà du monde, je suis devenu libre de tout désir et de peur. Je n’ai pas raisonné que je devrais être libre – je me suis retrouvé libre – subitement, sans le moindre effort. Cette liberté de désir et de peur est demeurée avec moi depuis lors. Une autre chose que j’ai remarquée est que je n’ai pas besoin de faire d’effort ; l’action suit la pensée, sans délai ni friction. J’ai aussi trouvé que les pensées deviennent auto-suffisantes : les choses tombaient en place doucement et correctement. Le changement principal fut dans l’esprit ; il devint immobile et silencieux, répondant rapidement, mais sans perpétuer la réponse. La spontanéité devint un mode de vie, le réel devint naturel et le naturel devint réel. Et par-dessus tout, une affection infinie, un amour, sobre et tranquille, rayonnant dans toutes directions, enveloppant tout, faisant tout devenir intéressant et joli, significatif et prometteur.

Q : Vous donnez une certaine date à votre réalisation, signifiant que quelque chose vous est arrivé à cette date. Que s’est-il produit?

N.M : L’esprit cessa de produire des événements. L’ancienne et incessante recherche s’arrêta – je ne voulais rien, n’attendais rien – n’acceptais rien comme m’appartenant.

il s’agit d’un entretien avec Nisargadatta Maharaj rapporté par Alain Porte en 1979 et paru dans la revue Être éditée par Jean Klein.

 

En 1936, Siddharameshwar décède. Un an après, Nisargadatta laisse famille et affaires. En simple sādhu, il parcourt l’Inde, de lieux saints en lieux saints. D’abord vers le sud, puis vers le nord, pensant séjourner dans les Himalayas. Au bout de quelques mois, une rencontre et discussion avec un autre disciple de Siddharameshwar lui fait clairement voir que le véritable dépouillement est avant tout intérieur et que sa place est à Mumbai.

Transmission

A son retour, sa vie se simplifie. Son enseignement se dépouille lui aussi et devient de plus en plus direct.

Les entretiens vont maintenant se donner au-dessus de la seule échoppe qui lui reste pour subvenir à ses besoins, au 10 Khetwadi lane, au cœur de la grouillante Mumbai. Un espace très simple de quarante mètres carrés environ, qui sera tout à la fois son domicile et le lieu où il recevra jusqu’à une vingtaine de personnes à la fois.

En soirée et souvent tard dans la nuit, il converse dans différents lieux publics de la ville avec son condisciple et ami Shri Bhainath Maharaj. Une véritable amitié spirituelle qui donnera forme à ces partages nocturnes pendant plus de vingt-cinq ans, qui ne seront interrompus ni par les couvre-feux des conflits et de la violence de la période d’indépendance du pays, ni par les conditions climatiques parfois extrêmes de la mousson.

Ce n’est qu’à partir de 1951, suite à un songe où Siddharameshwar lui en fait la demande expresse, qu’il se met à transmettre l’enseignement de maître à disciple selon les préceptes de la lignée  Navnath sampradāya.

En 1966, il arrête toute activité professionnelle pour se consacrer uniquement à la transmission des enseignements.

En 1972, Maurice Frydman (diplomate polonais ayant suivi les enseignements directs de Ramana Maharshi et de J. Krishnamurti, et que Maharaj considère comme un véritable sage), publie en anglais un premier recueil d’entretiens intitulé ‘I Am That’. Ce livre fera découvrir l’enseignement de Nisargadatta à un large auditoire occidental. Jean Dunn, qui s’occupait de la revue ‘Mountain Pass’ à l’āśrama de Ramana Maharshi, et qui fut aussi une fidèle disciple et proche de Nisargadatta, collabora aussi grandement à l’édition et à la diffusion du message de Maharaj en Occident.

Au fil des années, la présence de chercheurs occidentaux se fit toujours plus grande, pour devenir majoritaire dans l’assemblée des satsangs quotidiens.

A cette époque et jusqu’à ses derniers jours, les journées de Maharaj se déroulaient de la manière suivante :

Dès six heures trente un petit groupe se joignait à lui pour méditer. Puis suivaient une cérémonie de bhajana. Le premier entretien avait ensuite lieu dans la matinée. L’après-midi, Maharaj aimait se rendre à la plage pour méditer face à l’océan. Un deuxième entretien prenait place aussi l’après-midi. A chaque entretien, un traducteur se tenait à son côté pour délivrer son message en anglais. Suamitra Mullaparttan et Ramesh Balsekar furent les plus assidus et appréciés à cette tâche.

Nisargadatta Maharaj avait son emploi du temps quotidien ponctué de cinq cérémonies bhajana .

Voici un  bhajana dédié à Siddharamesvhar Maharaj

Ce n’est que quand son corps devint trop faible, et que le cancer de la gorge rendait toute élocution presque impossible, que les entretiens prirent fin, seulement quelques jours avant son départ, le 8 septembre 1981.

“Je vois très clairement ce qui est né.  Je sais aussi que je ne suis pas ce qui est né. Voilà pourquoi je suis totalement sans peur. Je demeure complétement impassible devant une maladie qui, sinon, serait traumatisante”.

Il était animé par la même intensité que ses prédécesseurs pour amener chacun à ne pas s’enfermer dans une accumulation de dogmes  religieux, philosophiques ou culturels, mais au contraire à s’en libérer pour découvrir la vérité universelle sous-jacente. C’est ainsi que pendant près de cinquante ans, il a offert la quintessence de la voie de connaissance de Soi, de la façon la plus puissante et directe possible, aux chercheurs en spiritualité qui venaient le voir. Même si les termes utilisés et les références pourraient faire penser, au premier abord, à un message ne s’adressant qu’ aux personnes ayant une affinité avec la  spiritualité indienne, c’est en réalité  une invitation pour chaque être à reconnaître son essence universelle et à en faire l’expérience directe, qui est transmise à travers la parole de Sri Nisargadatta Maharaj.

C’est pourquoi, aujourd’hui encore, son message continue de se répandre et de guider les chercheurs authentiques dans la réalisation du Soi sur les cinq continents. Par les nombreux entretiens publiés, les quelques rares vidéos de l’époque, et l’enseignement de ses disciples indiens et occidentaux, tous porteurs et animés de sa présence infinie, de la présence indicible du Soi, Nisargadatta Maharaj continue de semer la graine de la connaissance véritable dans le cœur de nombreux chercheurs.

Après ces informations d’usage, laissons Maharaj se présenter lui-même par les extraits d’entretiens suivants (Nirupana 3, Méditations avec Sri Nisargadatta Maharaj, Ed. Aluna).

 

« Je ne parle pas en tant qu’une personne qui parle à une autre personne. Je parle à la Conscience pure, pas au corps. Comme vous êtes identifié au corps physique pendant que vous m’écoutez, vous ne comprenez pas ce qui est dit. »

«  Je ne parle pas à un individu mais à la Conscience et à l’amour en lui. C’est une amitié éternelle, seulement si nous l’entretenons. La différence entre vous et moi est partie. La sensation d’individualité est remplacée par une sensation de totalité. Maintenant, la mort s’est fondue dans l’Absolu ».

« Mes réponses à vos questions viennent, je n’y réfléchis pas ».

« Ici, le verbe répond au verbe. Je suis en dehors du verbe. Là où je me tiens, il n’y a ni lumière, ni obscurité, ni je, ni vous. Qui me reconnaîtra dans mon état non manifesté ? Je ne peux être connu que lorsque celui qui connaît se dissout lui-même. Quand les passions se taisent, il n’y a plus d’empressement à se tourner vers l’extérieur. Je suis le témoin de l’existence et de la non-existence ».

 

 

“Il n’était pas colérique, il était avant tout pure intensité. Ce que j’allais être amené à découvrir à d’autre occasion était qu’il était aussi pur amour.”

Cathy Boucher  à propos de Nisargadatta