V. Ganeshan et Nisargadatta Maharaj

Témoignage de  V. Ganeshan, petit -neveu de Ramana Maharshi.

 

Extrait de « Drops of the Ocean » ( extrait sélectionné et traduit par Stéphane Aubry)

En 1975, un dévot de Bombay m’a emmené dans sa voiture en disant qu’il m’emmenait voir un grand saint !  C’était ma toute première rencontre avec Maharaj.  Il a eu la bonté de me bénir par un long et profond regard de compassion, de sagesse et de silence.  Il m’a soudain dit : “Un chercheur doit prendre de la hauteur vis à vis de l’idée “je suis le corps”, tout comme un Brahmane orthodoxe regarde un plat non-végétarien”. Il a répété cette déclaration trois fois. Sa présence silencieuse, son regard de grâce et ses paroles de sagesse m’ont mis dans un état d’extase.  Pour la première fois de ma vie, mon corps et mon esprit ont été entièrement immergés dans le silence et l’immobilité pendant très, très longtemps.  C’est un véritable miracle que Maharaj a accompli ce jour-là. Ce n’était pas seulement un miracle spirituel, mais, comme les événements ultérieurs l’ont prouvé, un miracle physique aussi.

Depuis que j’ai fait la connaissance du grand sage Nisargadatta Maharaj, aux environs de 1975, j’ai été régulièrement écouter ses paroles de sagesse. Il m’a accueilli avec une affection filiale, même si je l’ai toujours considéré comme l’un des plus grands Jnani que j’ai rencontré.

Un jour, au lieu d’arriver ponctuellement comme je le faisais d’habitude, pour certaines raisons indépendantes de ma volonté, je n’ai pu me retrouver en sa présence qu’avec une heure de retard.

À mon entrée, j’ai vu des expressions d’irritation sur les visages de son public ! Ce qui s’est passé ensuite était si étonnant que je préfère citer l’inscription que j’ai faite dans mon journal ce jour-là :

“9-2-79. Je suis arrivé chez Maharaj à 11h30. M. et Mme Sapre étaient là. Immédiatement, Maharaj a demandé à Mme Sapre de mettre un énorme coussin et m’a demandé de m’asseoir dessus. Il m’a ensuite appliqué du Tilak et des parfums et m’a fait une guirlande. Il m’a aussi offert des cadeaux. Il s’est même prosterné devant moi. Il m’a dit : “C’est ainsi que dans le Bharat ( en Inde), un Jnani salue un autre Jnani.” 

Je me suis immédiatement prosterné à ses pieds.

Puis il m’a dit que dès que j’arriverais à l’Ashram ( Ramana Ashram) je devrais commencer à donner des conférences. Je fus à la fois étonné et perplexe. J’ai honte d’admettre que je n’ai pu respecter ce commandement spécifique qu’après un délai de onze ans.

Il m’a alors dit : “Sri Ramana Maharshi est mon frère. Donc, tu es comme mon petit-fils. Dans notre culture, seul le grand-père doit donner des cadeaux au petit-fils. Et non l’inverse. Donc, ne m’apporte jamais de cadeaux comme des guirlandes et des fruits, et ne m’apporte jamais d’argent ! Il a même donné des instructions aux membres de sa famille que personne ne m’empêche de venir le voir, à n’importe quel moment, n’importe quel jour.

Un autre jour, il m’a dit : “Nous sommes trois frères, Ramana Maharshi, J. Krishnamurti et moi. Nous enseignons la même vérité, mais dans des langues différentes, c’est tout !” Maharaj a toujours été l’empereur spirituel. En effet, maharaj ne signifie-t-il pas roi ?

 

 

 

Maharaj donnait des conférences quotidiennes entre 10 et 12h le matin. Il parlait en marathi, sa langue maternelle.  Ces conférences étaient traduites en anglais par quelques uns de ses proches.  Au fil des jours, des professeurs de philosophie et de psychologie du monde entier, et notamment des États-Unis, ont afflué à la résidence de Maharaj à Mumbai.  Tous étaient les bienvenus.  Maharaj parlait spontanément.  Les séances de questions-réponses étaient animées et très instructives sur le plan spirituel.  Bien qu’il n’est pas reçu d’éducation, ses réponses aux questions et aux doutes qui lui étaient posés venaient directement de son cœur et corroboraient pleinement les Écritures.  C’était une merveille quotidienne d’écouter les réponses scintillantes et originales de Maharaj, toutes imprégnées de sagesse. Le soir, Maharaj dirigeait des séances dans lesquelles seuls les chercheurs parlant le marathi étaient autorisés. Dans ces séances, un érudit marathe lisait un passage du commentaire de saint Jnaneshwar sur la Bhagavad-Gita ou le Jnaneshwari. Maharaj expliquait ensuite sa signification spirituelle, telle que confirmée par sa propre expérience.  Quelques années après mon association étroite avec lui, il m’a dit avec insistance qu’il fallait que je vienne un jour à la séance du soir. J’en fus ravi !

 

 

Quand je suis arrivé à sa résidence, il y avait déjà une grande foule. Maharaj m’a fait signe de m’asseoir au premier rang, en face de lui. Il s’est penché et m’a dit en hindi, une langue que je comprends partiellement, “Écoute chaque mot que je prononce !” Il a ensuite fait un discours torrentiel sur un verset de la Gita en marathi, pendant près d’une heure !  J’ai écouté chaque mot qui est tombé de ses lèvres sans interruption et avec force. Ce fut une expérience étincelante. Dès que ce véritable Niagara de mots a pris fin, Maharaj s’est penché vers moi et m’a posé la question en souriant : “As-tu compris tout ce que j’ai dit ?  En as-tu saisi le sens ?” Une réponse solennelle mais très ferme a jailli de mon Coeur et sortie de ma bouche, “Oui, Maharaj ! J’ai compris complètement et entièrement chaque mot prononcé.”

 Maharaj m’a soulevé, m’a embrassé et a dit : “Oui ! Je sais.  C’est pourquoi je t’ai invité.  Je voulais te faire expérimenter cette dimension de l’écoute, qui est au-delà du domaine du cerveau, de l’esprit et de l’ego. C’est le langage du cœur à l’état pur ! Le vrai partage, c’est ce langage du Cœur à Cœur ! Tu es béni mon enfant ! Sois heureux !”

 

J’ai alors tout de suite compris ce que J. Krishnamurti disait à son auditoire, avant de commencer tous ses discours, “Messieurs ! Veuillez écouter ce que dit l’orateur. N’acceptez pas ce qu’il dit.  De même, ne rejetez pas ce qu’il dit ! Simplement, écoutez !”

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Les réponses de Nisargadatta Maharaj aux questions spirituelles n’étaient pas les répétitions habituelles tirées des Écritures. Elles n’étaient pas non plus une excellente explication de cet état expérimental. Elles étaient imprégnées d’un pouvoir spirituel spontané et immédiat qui mettait instantanément les auditeurs dans un état d’ici et maintenant !  Par exemple, lorsqu’on lui a demandé quelle était la différence entre la Conscience une et la conscience identifiée, sa réponse fut : “Lorsque la Conscience s’empare d’un objet, elle devient conscience !”  J’appelle de telles réponses des bombes atomiques !  Lorsqu’on l’écoute, on passe instantanément d’une conscience conditionnée à un état totalement non-conditionné, ici et maintenant.

 

Dès notre première rencontre, Maharaj m’avait catégoriquement parlé de la relation filiale entre nous.  Un jour, lorsque par ignorance j’ai dépassé les limites, il m’a prouvé à quel point il était inconditionnellement dans le maintien de cette relation. C’était l’anniversaire de Maharaj.  Par dévotion pour lui, j’ai mis des fruits, des fleurs, des guirlandes et des vêtements dans une assiette. Sans plus réfléchir, j’avais aussi mis sur l’assiette une enveloppe scellée contenant 51 roupies. Quand tout le monde est parti, j’ai placé l’assiette devant Maharaj et je me suis prosterné devant lui.( Comme cela se  fait traditionnellement en Inde dans une relation de disciple à Guru, qui représente le Soi).

Ma dévotion envers lui a provoqué des larmes de joie et je suis resté longtemps prosterné. Maharaj a posé sa main sur ma tête et m’a demandé affectueusement de me lever. Il avait l’air satisfait et accepta toutes mes offrandes.  Mais soudain, il a tapé dans ses mains.  Sa belle-fille s’est levée. Il lui a dit quelque chose en marathi.  Après un certain temps, elle a apporté une enveloppe et la lui a donnée. Maharaj m’a alors bénit à plusieurs reprises et me donna la permission de partir. Au moment de partir, il m’a donné cette enveloppe et m’a dit : “Souviens-toi, je t’ai dit le tout premier jour que seul le grand-père devait donner des cadeaux au petit-fils. N’ouvre l’enveloppe que je t’ai donnée qu’une fois que tu seras rentré chez toi. Pas avant !” Quand j’ai ouvert l’enveloppe à la maison, j’y ai trouvé les 51 roupies !

 

 

Deux ans plus tard, j’ai emmené mon jeune frère qui travaillait à Mumbai à l’époque, ainsi que sa famille, chez Maharaj. À cette occasion, mon frère  présenta une assiette avec de nombreuses offrandes. Bien que je l’aie supplié de ne pas offrir d’argent, il y inclut une enveloppe scellée contenant cent une roupies. Maharaj fit exactement ce qu’il m’avait fait. Sans ouvrir, là aussi, l’enveloppe de mon frère, il lui en donna une autre et lui  demanda de ne l’ouvrir qu’une fois qu’il serait rentré chez lui. Bien sûr, quand mon frère l’a ouverte, il a trouvé cent une roupies ! Les petits-fils avaient désobéi et s’étaient trompés. Mais le glorieux grand-père avait rectifié leurs erreurs par des actes de grâce.  Des actes, que notre mental s’empresse d’étiqueter de miracles.

Témoignages extrait de “Drops of Océan”