Je Suis 87 – Gardez le mental silencieux

Cascade,Source

Visiteur : Un jour, j’ai vécu une expérience étrange. Je n’étais pas, le monde non plus, il
n’y avait que de la lumière – à l’intérieur et à l’extérieur – et une immense paix. Cela a duré
quatre jours, puis je suis revenu à la conscience quotidienne.
Aujourd’hui, j’ai le sentiment que tout ce que je sais n’est qu’un échafaudage qui recouvre
et cache le bâtiment en construction. L’architecte, la conception, les plans, le but – je ne
sais rien ; une activité se déroule, des choses se produisent ; c’est tout ce que je peux
dire. Je suis cet échafaudage, quelque chose de très fragile et d’éphémère ; lorsque le
bâtiment sera prêt, l’échafaudage sera démonté et enlevé. Le “je suis” et le “qu’est-ce que
je suis” n’ont pas d’importance, car lorsque le bâtiment sera prêt, le “je” partira comme
une évidence, ne laissant aucune question sur lui-même à laquelle répondre.
Nisargadatta Maharaj : N’êtes-vous pas conscience pour tout cela ? Le fait d’être
conscient n’est-il pas le facteur constant ?

V : Mon sentiment de permanence et d’identité est dû à la mémoire, qui est si évanescente et si peu fiable. Je me souviens de très peu de choses, même dans un passé récent ! J’ai vécu toute une vie, et maintenant que me reste-t-il ? Un ensemble d’événements, au mieux une courte histoire.
N.M : Tout cela se passe dans votre conscience
V : A l’intérieur et à l’extérieur. Le jour – à l’intérieur ; la nuit – à l’extérieur. La conscience
n’est pas tout. Tant de choses se passent hors de sa portée. Dire que ce dont je ne suis
pas conscient n’existe pas serait faux.
N.M : Ce que vous dites est logique, mais en fait actuellement vous ne connaissez que ce
que vous nommez le contenu de votre conscience. Ce que vous prétendez exister en dehors de l’expérience consciente est déduit.
V : Il peut être déduit et pourtant il est plus réel que le sensoriel.
N.M : Attention. Dès que vous commencez à parler, vous créez un univers verbal, un
univers de mots, d’idées, de concepts et d’abstractions, entrelacés et interdépendants, qui se génèrent, se soutiennent et s’expliquent les uns les autres de la manière la plus
merveilleuse qui soit, mais qui sont tous sans essence ni substance, de simples créations
mentales. Les mots créent des mots, la réalité est silencieuse.
V : Quand vous parlez, je vous entends. N’est-ce pas un fait ?
N.M : Que vous entendiez est un fait. Ce que vous entendez ne l’est pas. Le fait peut être
expérimenté, et dans ce sens, le son du mot et les ondes mentales qu’il provoque sont
expérimentés. Il n’y a pas d’autre réalité derrière ce mot. Sa signification est purement
conventionnelle, à retenir ; une langue peut être facilement oubliée, à moins d’être
pratiquée.
V : Si les mots n’ont pas de réalité, pourquoi parler ?
N.M : Ils servent leur objectif limité de communication inter-personnelle. Les mots ne
transmettent pas les faits, ils les signalent. Une fois que vous êtes au-delà de la
personne, vous n’avez plus besoin de mots.
V : Qu’est-ce qui peut m’amener au-delà de la personne ? Comment aller au-delà de la
conscience personnelle ?
N.M : Les mots et les questions viennent du mental et vous y maintiennent. Pour aller au-delà du mental, vous devez être silencieux et tranquille. Paix et silence, silence et paix –
c’est le chemin de la transcendance. Cessez de poser des questions.
V : Une fois que j’ai cessé de poser des questions,
que dois-je faire ?

N.M : Que pouvez-vous faire d’autre que d’attendre et de regarder ?
V : Que dois-je attendre ?
N.M : Que le coeur de votre être arrive à la conscience. Les trois états – sommeil, rêve et
veille – sont tous dans la conscience, le manifesté ; ce que vous appelez inconscience
sera aussi manifesté – avec le temps ; au-delà de la conscience se trouve le non-manifesté.
Et au-delà de tout, et imprégnant tout, se trouve le coeur de l’être qui bat régulièrement – manifesté-non-manifesté ; manifesté-non-manifesté (saguna-nirguna).
V : Sur le plan verbal, tout va bien. Je peux me visualiser comme la graine de l’être, un
point dans la conscience, avec mon sens “je suis” qui palpite, apparaissant et
disparaissant alternativement. Mais que dois-je faire pour le réaliser comme un fait, pour
aller au-delà dans la Réalité immuable, sans mots ?
N.M : Vous ne pouvez rien faire. Ce que le temps a apporté, le temps l’emportera.
V : Pourquoi donc toutes ces exhortations à pratiquer le yoga et à rechercher la réalité ?
Elles me donnent l’impression d’être autonome et responsable, alors qu’en fait, c’est le
temps qui fait tout.
N.M : C’est la fin du yoga – réaliser l’indépendance. Tout ce qui arrive arrive au mental, et
non à la Source du “je suis”. Une fois que vous avez réalisé que tout se produit de lui-même
(appelez cela le destin, la volonté de Dieu ou un simple accident), vous restez
seulement le témoin, capable de comprendre ce qui se passe, de l’apprécier mais sans
perturbation aucune.
V : Si je cesse totalement de faire confiance aux mots, quelle sera ma situation ?
N.M : Il y a une saison pour faire confiance et pour s’en méfier. Laissons les saisons faire
leur travail, pourquoi s’inquiéter ?
V : D’une certaine manière, je me sens responsable de ce qui se passe autour de moi.
N.M : Vous n’êtes responsable que de ce que vous pouvez changer. Et tout ce que vous
pouvez changer, c’est votre attitude. C’est là que réside votre responsabilité.
V : Vous me conseillez de rester indifférent aux peines des autres !
N.M :N’êtes-vous pas actuellement indifférent. Toutes les souffrances de l’humanité ne
vous empêchent pas d’apprécier votre prochain repas. Le témoin n’est pas indifférent. Il
est la plénitude de la compréhension et de la compassion. Ce n’est qu’en tant que
témoin que vous pouvez aider les autres.
V : Toute ma vie, je me suis nourri de mots. Le nombre de mots que j’ai entendus et lus
se chiffre en milliards. Cela m’a-t-il été bénéfique ? Pas du tout !
N.M : L’esprit façonne le langage et le langage façonne l’esprit. Les deux sont des outils,
utilisez-les mais n’en abusez pas. Les mots ne peuvent vous amener que jusqu’à leur
propre limite ; pour aller au-delà, vous devez les abandonner. Restez uniquement le
témoin silencieux.
V : Comment puis-je ? Le monde me perturbe beaucoup.
N.M : C’est parce que vous vous croyez assez grand pour être affecté par le monde. Ce
n’est pas le cas. Vous êtes si petit que rien ne peut vous arrêter. C’est votre mental qui se
fait piéger, pas vous. Connaissez-vous tel que vous êtes – un simple point dans la
conscience, sans dimension et intemporel. Vous êtes comme la pointe d’un crayon – à
votre simple contact, l’esprit dessine son image du monde. Vous êtes simple et unique –
l’image est complexe et étendue. Ne vous laissez pas tromper par l’image – restez
conscient du point minuscule – qui est partout dans l’image.
Ce qui est peut cesser d’être ; ce qui n’est pas peut devenir être ; mais ce qui ni n’est, ni n’est pas, mais dont dépendent l’être et le non-être, est immuable ; sachez que vous êtes la
cause du désir et de la peur, et que vous êtes vous-même libre de l’un et de l’autre.
V : En quoi suis-je à l’origine de la peur ?
N.M : Tout dépend de vous. C’est par votre consentement que le monde existe. Retirez
votre croyance en sa réalité et il se dissoudra comme un rêve. Le temps peut abattre des
montagnes ; bien plus que vous, qui êtes la source intemporelle du temps. Car sans
mémoire et sans attente, il n’y a pas de temps.
V : Le “je suis” est-il l’ultime ?
N.M : Avant de pouvoir dire : “Je suis”, vous devez être là pour le dire. L’être n’a pas besoin
d’être conscient de lui-même. Il n’est pas nécessaire de savoir pour être, mais il faut être
pour savoir.
V : Monsieur, je suis noyé dans une mer de mots ! Je vois bien que tout dépend de la
manière dont les mots sont assemblés, mais il doit y avoir quelqu’un pour les assembler –
de manière significative. Le Ramayana, le Mahabharata et le Bhagavata n’auraient jamais
pu être produits en tirant des mots au hasard. La théorie de l’émergence accidentelle
n’est pas défendable. L’origine de ce qui est significatif doit être au-delà. Quelle est cette
puissance qui crée l’ordre à partir du chaos ? Vivre est plus qu’être, et la conscience est
plus que vivre. Qui est l’être vivant conscient ?
N.M : Votre question contient sa réponse : un être vivant conscient est un être vivant
conscient. Les mots sont très appropriés, mais vous n’en saisissez pas toute la portée.
Approfondissez le sens des mots : être, vivre, conscient, et vous cesserez de tourner en
rond, de poser des questions, mais de manquer de réponses. Comprenez bien que vous
ne pouvez pas poser une question valable sur vous-même, parce que vous ne savez pas
sur qui vous posez la question. Dans la question “Qui suis-je ?”, le “je” n’est pas connu et
la question peut être formulée comme suit : “Je ne sais pas ce que “je” veux dire” : ” Je ne
sais pas ce que j’entends par “je” “. Ce que vous êtes, vous devez le découvrir. Je ne peux
que vous dire ce que vous n’êtes pas. Vous n’êtes pas du monde, vous n’êtes même pas
dans le monde. Le monde n’est pas, vous seul êtes. Vous créez le monde dans votre
imagination, comme un rêve. De même que vous ne pouvez pas séparer le rêve de vous-même, de même vous ne pouvez pas avoir un monde extérieur indépendant de vous.
C’est vous qui êtes indépendant, pas le monde.
N’ayez pas peur d’un monde que vous avez vous-même créé. Cessez de chercher le
bonheur et la réalité dans un rêve et vous vous réveillerez. Il n’est pas nécessaire de
connaître tous les “pourquoi” et “comment”, il n’y a pas de fin aux questions. Abandonnez
tous vos désirs, gardez votre esprit silencieux et vous découvrirez….

Nisargadatta Maharaj
Extrait traduit pour www.meditations-avec-sri-Nisargadatta-Maharaj.com .  Version originale éditée par Maurice Frydman à partir des enregistrements en Marathi de Nisargadatta Maharaj et  publiée dans – “I am That” Acorn Press

Je Suis 86 – L’inconnu est la demeure du Réel


Visiteur : Qui est le Guru et qui est le Guru suprême !

Nisargadatta Maharaj : Tout ce qui se passe dans votre conscience est votre Guru. Et la présence pure au-delà de la conscience est le Guru suprême.
V : Mon guru est Sri Babaji. Que pensez-vous de lui ?
N.M : Quelle question ! On demande à l’espace de Bombay ce qu’il pense de l’espace de
Poona. Les noms diffèrent, mais pas l’espace. Le mot “Babaji” n’est qu’une adresse. Qui
vit sous cette adresse ? Vous posez des questions lorsque vous avez des problèmes.
Demandez qui vous cause des ennuis et à qui.
V : Je crois savoir que tout le monde a l’obligation de se réaliser. Est-ce son devoir ou
son destin ?
N.M : La prise de conscience est le fait que vous n’êtes pas une personne. Par
conséquent, ce ne peut être le devoir de la personne dont le destin est de disparaître.
Son destin est le devoir de celui qui imagine et se prend pour la personne. Découvrez qui il est et la personne imaginée se dissoudra. La liberté est liée à quelque chose. De quoi devez-vous vous libérer ? De toute évidence,
vous devez vous libérer de la personne que vous vous imaginez être, car c’est l’idée que
vous vous faites de vous-même qui vous maintient dans l’esclavage.
V : Comment la personne est-elle congédiée ?
N.M : Par la détermination. Comprenez ce qui doit disparaître et souhaitez que cela
disparaisse – il disparaîtra si vous le souhaitez ardemment. Quelqu’un,peu importe qui,
vous dira que vous êtes pure conscience, pas un corps-mental. Acceptez-le comme
une possibilité et enquêtez sérieusement. Vous découvrirez peut-être que ce n’est pas
le cas, que vous n’êtes pas une personne liée à l’espace et au temps. Considérez la
différence que cela ferait !
V : Si je ne suis pas une personne, que suis-je ?
N.M : Un tissu mouillé a un aspect, un toucher et une odeur différents tant qu’il est mouillé.
Lorsqu’il est sec, il redevient un tissu normal. L’eau l’a quitté et qui peut dire qu’il était
mouillé ? De même, votre vraie nature n’est pas celle que vous semblez être.
Abandonnez l’idée d’être une personne, c’est tout. Vous n’avez pas besoin de devenir ce
que vous êtes de toute façon. Il y a l’identité de ce que vous êtes et la personne qui s’y
superpose. Tout ce que vous savez, c’est la personne, l’identité – qui n’est pas une
personne – vous ne le savez pas, car vous n’avez jamais douté, vous ne vous êtes jamais
posé la question cruciale : “Qui suis-je ? L’identité est le témoin de la personne et la
sadhana consiste à déplacer l’accent de la personne superficielle et changeante vers le
témoin immuable et toujours présent.
V : Comment se fait-il que la question “Qui suis-je” m’attire peu ? Je préfère passer mon
temps dans la douce compagnie des sages.
N.M : Demeurer dans son propre être est aussi une sainte compagnie. Si vous n’avez pas
de problème de souffrance et de libération de la souffrance, vous ne trouverez pas
l’énergie et la persévérance nécessaires à la recherche du Soi. Vous ne pouvez pas
fabriquer une crise. Elle doit être authentique.
V : Comment se produit une véritable crise ?
N.M : Cela arrive à chaque instant, mais vous n’êtes pas assez vigilant. Une ombre sur le
visage de votre voisin, l’immense et omniprésente tristesse de l’existence est un facteur
constant dans votre vie, mais vous refusez d’y prêter attention. Vous souffrez et voyez les
autres souffrir, mais vous ne réagissez pas.
V : Ce que vous dites est vrai, mais que puis-je faire ? Telle est en effet la situation. Mon
impuissance et mon ennui en font partie.
N.M : C’est suffisant. Regardez- vous bien – c’est suffisant. La porte qui vous enferme est aussi celle qui vous laisse sortir. Le “je suis” est la porte. Restez-y jusqu’à ce qu’elle s’ouvre.
En réalité, elle est ouverte, mais vous n’y êtes pas. Vous attendez devant de fausses
portes peintes inexistantes, qui ne s’ouvriront jamais.
V : Beaucoup d’entre nous ont pris des drogues, de différentes manières et fréquences.
Certaines personnes nous ont dit de prendre de la drogue pour accéder à des niveaux de
conscience plus élevés. D’autres nous ont conseillé d’avoir des relations sexuelles
abondantes dans le même but. Quelle est votre opinion à ce sujet ?
N.M : Il ne fait aucun doute qu’une drogue qui peut affecter votre cerveau peut également
affecter votre mental, et vous faire vivre toutes les expériences étranges que l’on vous
promet. Mais que sont toutes ces drogues comparées à la drogue qui
vous a donné cette expérience très inhabituelle de naître et de vivre dans le chagrin et la
peur, à la recherche d’un bonheur qui ne vient pas ou qui ne dure pas. Vous devriez vous
renseigner sur la nature de cette drogue et trouver un antidote.
Naissance, vie, mort, tout cela ne fait qu’un. Découvrez ce qui les a provoquées. Avant
votre naissance, vous étiez déjà drogué. De quel type de drogue s’agissait-il ? Vous
pouvez vous guérir de toutes les maladies, mais si vous êtes encore sous l’influence de
la drogue primordiale, à quoi servent les guérisons superficielles ?
V : Le karma n’est-il pas à l’origine de la renaissance ?
N.M : Vous pouvez changer le nom, mais le fait demeure. Quelle est la drogue que vous
appelez karma ou destin ? Elle vous a fait croire que vous étiez ce que vous n’êtes pas.
Qu’est-ce que c’est, et pouvez-vous vous en libérer ? Avant d’aller plus loin, vous devez
accepter, au moins comme théorie de travail, que vous n’êtes pas ce que vous semblez
être, que vous êtes sous l’influence d’une drogue. Ce n’est qu’ensuite que vous aurez
l’envie et la patience d’examiner les symptômes et de rechercher leur cause commune.
Tout ce qu’un guru peut vous dire, c’est : “Mon cher, vous vous trompez complètement
sur vous-même. Vous n’êtes pas la personne que vous pensez être”. Ne faites confiance à personne, pas même à vous-même. Cherchez, découvrez, éliminez et rejetez toute hypothèse jusqu’à ce que vous atteigniez les eaux vives et le rocher de la vérité. Tant que vous n’êtes pas libéré de la drogue, toutes vos religions et vos sciences, vos prières et vos yogas ne vous seront d’aucune utilité, car ils renforcent l’erreur qui est à la base de votre vie. Mais si vous vous en tenez à l’idée que vous n’êtes ni le corps ni le mental, ni même leur témoin, mais tout à fait au-delà, votre esprit gagnera en clarté, vos désirs en pureté, vos actions en charité et cette distillation intérieure vous conduira dans un autre monde, un monde de vérité et d’amour sans peur. Résistez à vos vieilles habitudes de sentir et de penser ; continuez à vous dire : “Non, ce n’est pas vrai, ce n’est pas possible ; je ne suis pas comme ça, je n’en ai pas besoin, je n’en veux pas”, et un jour viendra sûrement où toute la structure de la confusion et du désespoir s’effondrera sur elle-même et où la place sera libre pour une nouvelle vie. Après tout, vous devez vous rappeler que toutes vos préoccupations concernant votre personne ne se manifestent que pendant les heures de veille et en partie dans vos rêves ; dans le sommeil, tout est mis de côté et oublié. Le fait qu’il suffise de s’allonger et de fermer les yeux pour mettre fin à la vie éveillée montre à quel point celle-ci est peu importante, même pour soi-même. Chaque fois que vous vous endormez, vous le faites sans la moindre certitude de vous réveiller, mais vous en acceptez le risque.
V : Lorsque vous dormez, êtes-vous conscient ou inconscient ?
N.M : Je reste conscient, mais je ne suis pas conscient d’être une
personne particulière.

V : Pouvez-vous nous donner un aperçu de l’expérience de la réalisation du Soi ?
N.M : Prenez leTout ! C’est là pour que vous le demandiez. Mais vous ne demandez pas.
Même quand vous demandez, vous ne prenez pas. Trouvez ce qui vous empêche de
prendre.
V : Je sais ce qui empêche – mon ego.
N.M : Alors occupez-vous de votre ego – laissez-moi tranquille. Tant que vous êtes enfermé
dans votre mental, mon état est hors de votre portée.
V : Je n’ai plus de questions à poser.
N.M : Si vous étiez vraiment en guerre avec votre ego, vous auriez posé beaucoup plus de
questions. Vous êtes à court de questions parce que vous n’êtes pas vraiment intéressé.
Pour l’instant, vous êtes mû par le principe plaisir-douleur qui est l’ego. Vous suivez l’ego,
vous ne le combattez pas. Vous n’êtes même pas conscients du fait que vous êtes
totalement influencés par des considérations personnelles. Un être humain devrait
toujours être en révolte contre lui-même, car l’ego, comme un miroir de travers, rétrécit et
déforme. C’est le pire de tous les tyrans, il vous domine absolument.
V : Lorsqu’il n’y a pas de “moi”, qui est libre ?
N.M : Le monde est débarrassé d’une puissante nuisance.
C’est déjà bien.

V : Bon pour qui ?

N.M : C’est bon pour tout le monde. C’est comme une corde tendue en travers de la rue,
elle ralentit la circulation. Enroulez-la, et alors elle est juste là, utile en cas de besoin ; c’est
pareil pour l’identité. La libération du moi-ego est le fruit de la recherche du Soi.
V : Il fut un temps où j’étais très mécontent de moi-même. Maintenant, j’ai rencontré mon
guru et je suis en paix, après m’être complètement abandonné à lui.
N.M : Si vous observez votre vie quotidienne, vous verrez que vous n’avez rien abandonné.
Vous avez simplement ajouté le mot “abandon” à votre vocabulaire et fait de votre guru un
porte-manteau sur lequel vous accrochez vos problèmes. La véritable reddition signifie ne
rien faire, à moins d’y être incité par le guru. Vous vous mettez, pour ainsi dire, à l’écart et
vous laissez votre Guru vivre votre vie. Vous vous contentez d’observer et de vous
étonner de la facilité avec laquelle il résout les problèmes qui vous semblaient insolubles.
V : Alors que je suis assis ici, je vois la salle, les gens. Je vous vois aussi. Comment cela
se présente-t-il de votre côté ? Que voyez-vous ?
N.M : Rien. Je regarde, mais je ne vois pas dans le sens de la création d’images revêtues de
jugements. Je ne décris ni n’évalue. Je regarde. Je vous vois, mais ni l’attitude ni l’opinion
ne troublent ma vision. Et lorsque je détourne les yeux, mon esprit ne laisse pas la
mémoire s’attarder ; il est à la fois libre et frais pour la prochaine impression.
V : Alors que je suis là, à vous regarder, je ne peux pas situer l’événement dans
l’espace et le temps. Il y a quelque chose d’éternel et d’universel dans la transmission de
la sagesse qui a lieu. Dix mille ans plus tôt ou plus tard, cela ne fait aucune différence –
l’événement lui-même est intemporel.
N.M : L’être humain ne change pas beaucoup au cours des âges. Les problèmes humains
restent les mêmes et appellent les mêmes réponses. Le fait que vous soyez conscient de
ce que vous appelez la transmission de la sagesse montre que la sagesse n’a pas encore
été transmise. Lorsque vous la possédez, vous n’en êtes plus conscient. Ce qui est
vraiment vous, vous n’en êtes pas conscient. Ce dont vous êtes conscient n’est ni vous, ni
à vous. C’est le pouvoir de perception qui est le vôtre, pas ce que vous percevez. C’est
une erreur de considérer que le conscient est le tout de l’homme. L’homme est
l’inconscient, le conscient et le supra conscient, mais vous n’êtes pas l’homme. Vous êtes
l’écran de cinéma, la lumière et le pouvoir de vision, mais l’image n’est pas vous.
V : Dois-je chercher le Guru, ou dois-je rester avec celui que j’ai trouvé ?
N.M : La question même montre que vous n’en avez pas encore trouvé un. Tant que vous
n’aurez pas réalisé votre quête, vous irez de guru en guru, mais quand vous vous serez
trouvé, la recherche prendra fin. Un guru est un jalon. Lorsque vous êtes en mouvement,
vous franchissez de nombreux jalons. Lorsque vous avez atteint votre destination, c’est le
dernier qui a compté. En réalité, tous les jalons ont compté en leur temps et aucun ne
compte plus aujourd’hui.
V : Vous semblez n’accorder aucune importance au guru. Il n’est qu’un incident parmi d’autres.

N.M : Tous les incidents contribuent, mais aucun n’est primordial. Sur la route, chaque
étape vous aide à atteindre votre destination, et chacune est aussi cruciale que l’autre,
car chaque étape doit être franchie, vous ne pouvez pas la sauter. Si vous refusez de la
franchir, vous êtes bloqué !
V : Tout le monde chante les louanges du Guru, alors que vous le comparez à une borne
kilométrique. N’avons-nous pas besoin d’un guru ?
N.M : N’avons-nous pas besoin d’un jalon ? Oui et non. Oui, si nous sommes incertains, non
si nous connaissons notre chemin. Une fois que nous sommes sûrs de nous, le guru n’est
plus nécessaire, sauf d’un point de vue technique. Votre esprit est un instrument, après
tout, et vous devez savoir comment l’utiliser. De même que l’on vous apprend à utiliser
votre corps, vous devez savoir comment utiliser votre esprit.
V : Qu’est-ce que j’ai à gagner en apprenant à utiliser mon esprit ?
N.M : Vous vous libérez du désir et de la peur, qui sont entièrement dus à une mauvaise
utilisation du mental. La simple connaissance mentale ne suffit pas. Le connu est
accidentel, l’inconnu est la demeure du réel. Vivre dans le connu est une servitude, vivre
dans l’inconnu est une libération.
V : J’ai compris que toute pratique spirituelle consiste à éliminer le moi personnel. Une
telle pratique exige une détermination de fer et une application sans relâche. Où trouver
l’intégrité et l’énergie nécessaires à un tel travail ?
N.M : On la trouve en compagnie des sages.
V : Comment savoir qui est sage et qui est simplement intelligent ?
N.M : Si vos motivations sont pures, si vous recherchez la vérité et rien d’autre, vous
trouverez les bonnes personnes. Les trouver est facile, ce qui est difficile c’est de leur
faire confiance et de profiter pleinement de leurs conseils.
V : L’état de veille est-il plus important que le sommeil pour la pratique spirituelle ?
N.M : Dans l’ensemble, nous attachons trop d’importance à l’état de veille. Sans sommeil, l’état
de veille serait impossible ; sans sommeil, on devient fou ou on meurt ; pourquoi attacher tant
d’importance à la conscience de veille, qui dépend manifestement de l’inconscient ? Dans notre
pratique spirituelle, nous devrions nous occuper non seulement du conscient, mais aussi de
l’inconscient.
V : Comment s’occuper de l’inconscient ?
N.M : Gardez le ” je suis ” au centre de la présence, souvenez-vous que vous êtes,
observez-vous sans cesse et l’inconscient se déversera dans le conscient sans effort
particulier de votre part. Les désirs et les peurs erronés, les fausses idées, les inhibitions
sociales bloquent et empêchent sa libre interaction avec le conscient. Une fois libres de
se mêler, les deux ne font plus qu’un et l’un devient le tout. La personne se fond dans le
témoin, le témoin dans la présence,

La conscience se transforme en être pur, mais l’identité n’est pas perdue, seules ses
limites sont perdues. Elle est transfigurée et devient le vrai Soi, le Sadguru, l’ami et le
guide éternel. Vous ne pouvez pas l’approcher en l’adorant. Aucune activité extérieure ne
peut atteindre le Soi profond ; l’adoration et les prières ne restent qu’en surface.
Les prières ne restent qu’en surface ; pour aller plus loin, la méditation est essentielle, le
pont pour aller au-delà des états de sommeil, de rêve et de veille. Au début, les tentatives
sont irrégulières, puis elles se répètent plus souvent, deviennent régulières, puis continues
et intenses, jusqu’à ce que tous les obstacles soient surmontés.
V : Des obstacles à quoi ?

N.M : A ce processus d’oubli de la fausse identité.
V : Si l’adoration et les prières sont inefficaces, pourquoi venez-vous tous les jours, avec
des chants et de la musique, adorer l’image de votre guru ?
N.M : Que ceux qui le veulent le fassent. Je ne vois pas
l’intérêt d’intervenir.

V : Mais vous y participez.
N.M : Oui, il semble que ce soit le cas. Mais pourquoi vous préoccuper de moi ? Accordez
toute votre attention à la question : “Qu’est-ce qui me rend conscient ?”, jusqu’à ce que
votre mental devienne la question elle-même et ne puisse penser à rien d’autre.

V : Tout le monde me pousse à méditer. Je ne trouve aucun intérêt à la méditation, mais
je m’intéresse à beaucoup d’autres choses ; j’en désire certaines beaucoup et mon esprit
va vers elles ; mes tentatives de méditation sont si tièdes, que dois-je faire ?
N.M : Demandez-vous : “à qui tout cela arrive-t-il ? Utilisez tout comme une opportunité
d’aller à l’intérieur. Éclairez votre chemin en brûlant les obstacles dans l’intensité de la
présence. Lorsqu’il vous arrive de désirer ou de craindre, ce n’est pas le désir ou la crainte
qui sont erronés et qui doivent disparaître, mais la personne qui désire et qui craint. Il ne
sert à rien de lutter contre des désirs et des peurs qui peuvent être parfaitement naturels
et justifiés ; c’est la personne qui se laisse influencer par eux qui est la cause des erreurs,
passées et futures. Cette personne doit être examinée attentivement et sa fausseté doit
être constatée ; alors son pouvoir sur vous cessera. Après tout, il disparaît chaque fois que
vous vous endormez. Dans le sommeil profond, vous n’êtes pas conscient de vous-même,
mais vous êtes vivant. Lorsque vous êtes vivant et conscient, mais que vous n’êtes plus
conscient de vous-même, vous n’êtes plus une personne. Pendant les heures de veille,
vous êtes comme sur une scène, jouant un rôle, mais qu’êtes-vous lorsque la pièce est
terminée ? Vous êtes ce que vous êtes ; ce que vous étiez avant le début de la pièce,
vous le restez une fois qu’elle est terminée. Considérez-vous comme un acteur sur la
scène de la vie. La performance peut être splendide ou maladroite, mais vous n’êtes pas
en elle, vous la regardez simplement ; avec intérêt et sympathie, bien sûr, mais en gardant
à l’esprit
tout le temps que vous ne faites qu’observer pendant que le spectacle – la vie – se déroule.
V : Vous insistez toujours sur l’aspect cognitif de la réalité. Vous ne mentionnez
pratiquement jamais l’affectif, n’est-ce pas ?

N.M : La volonté, l’affection, la félicité, l’effort et la jouissance sont si profondément
entachés par le personnel qu’on ne peut s’appuyer sur eux. La clarification et la
purification nécessaires au tout début du voyage, seule la présence peut les donner.
L’amour et la volonté auront leur tour, mais le terrain doit être préparé au préalable. Le
soleil de la présence doit se lever en premier

– tout le reste suivra.

Nisargadatta Maharaj
Extrait traduit pour www.meditations-avec-sri-Nisargadatta-Maharaj.com .  Version originale éditée par Maurice Frydman à partir des enregistrements en Marathi de Nisargadatta Maharaj et  publiée dans – “I am That” Acorn Press

Je Suis 85 –

rien, vide, espace,

“Je suis” : Le
fondement de toute
expérience


Visiteur : Je vous entends faire des déclarations sur vous-même comme : ” Je suis intemporel, immuable au-delà des attributs”, etc. Comment savez-vous cela ? Et
qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

Nisargadatta Maharaj : J’essaie seulement de pointer l’état avant que le ” je suis ” n’apparaisse, mais l’état lui-même, étant au-delà du mental et de son langage, est indescriptible.
Visiteur : Le “je suis” est le fondement de toute expérience. Ce que vous essayez de décrire
doit aussi être une expérience, limitée et transitoire. Vous parlez de vous comme d’un être
immuable. J’entends le son du mot, je me souviens de sa signification dans le
dictionnaire, mais je n’ai pas l’expérience d’être immuable. Comment puis-je franchir la
barrière et connaître personnellement, intimement, ce que signifie être immuable ?
N.M : Le mot lui-même est le pont. Souvenez-vous-en, pensez-y, explorez-le, contournez-le,
regardez-le de tous les côtés, plongez-y avec une persévérance sérieuse : supportez tous
les atermoiements et toutes les déceptions jusqu’à ce que, soudain, l’esprit se retourne,
loin du mot, vers la réalité au-delà du mot. C’est comme essayer de trouver une personne
en ne connaissant que son nom. Un jour vient où vos recherches vous amènent à lui et le
nom devient réalité. Les mots sont précieux, car entre le mot et sa signification, il y a un
lien et si l’on étudie le mot avec assiduité, on dépasse le concept pour atteindre
l’expérience qui en est à l’origine. En fait, ces tentatives répétées d’aller au-delà des mots
sont ce que l’on appelle la méditation. La sadhana n’est qu’une tentative persistante de
passer du verbal au non-verbal. La tâche semble désespérée jusqu’à ce que, soudain,
tout devienne clair, simple et si merveilleusement facile. Mais tant que vous n’aurez pour
intérêt la préservation de votre mode de vie actuel, vous éviterez le saut final dans
l’inconnu.
V : Pourquoi l’inconnu m’intéresse-t-il ? A quoi sert l’inconnu ?
N.M : Cela ne sert à rien. Mais il vaut la peine de découvrir ce qui vous retient dans les
limites étroites du connu. C’est la connaissance complète et correcte du connu qui vous
ouvre à l’inconnu. Vous ne pouvez pas y penser en termes d’usages et d’avantages ; être
tranquille et détaché, hors de portée de tout souci de soi, de toute considération égoïste,
est une condition inéluctable de la libération. Vous pouvez appeler cela la mort ; pour moi,
c’est la vie dans ce qu’elle a de plus significatif et de plus intense, car je ne fais qu’un
avec la vie dans sa totalité et sa plénitude – intensité, signification, harmonie ; que voulez-vous de plus ?
V : Il ne faut rien de plus, bien sûr. Mais vous parlez de ce qui est connaissable.
N.M : Seul le silence parle de l’inconnaissable. Le mental ne peut parler que de ce qu’il
connaît. Si vous étudiez assidûment le connaissable, il se dissout et seul l’inconnaissable
subsiste. Mais dès les premiers frémissements d’imagination et d’intérêt, l’inconnaissable est occulté et le connu passe au premier plan. Le connu, le changeant, est ce avec quoi vous vivez – l’immuable ne vous est d’aucune utilité. Ce n’est que lorsque l’on est rassasié du
changeant et que l’on aspire à l’immuable que l’on est prêt à faire demi-tour et à entrer
dans ce que l’on ne connaît pas.
La réalité peut être décrite, vue du niveau de l’esprit, comme du vide et de l’obscurité. En effet, le mental a soif de contenu et de variété, alors que la réalité est, pour lui, implacable et
invariable.

V : Pour moi, cela ressemble à la mort.
N.M : C’est le cas. Elle est aussi omniprésente, conquérante, intense au-delà des mots.
Aucun cerveau ordinaire ne peut la supporter sans être brisé, d’où la nécessité absolue
de la sadhana. La pureté du corps et la clarté de l’esprit, la non-violence et le
désintéressement dans la vie sont essentiels à la survie en tant qu’entité intelligente et
spirituelle.
V : Existe-t-il des entités dans la réalité ?
N.M : L’identité est la réalité, la réalité est l’identité. La réalité n’est pas une masse informe,
un chaos sans paroles. Elle est puissante, consciente, bienheureuse ; comparée à elle,
votre vie est comme une bougie face au soleil.
V : Par la grâce de Dieu et de votre Maître, vous avez perdu tout désir et toute peur et
vous avez atteint l’état immuable. Ma question est simple : comment savez-vous que votre
état est immuable ?

N.M : On ne peut penser et parler que de ce qui est changeant.
L’immuable ne peut être réalisé que dans le silence. Une fois réalisé, il affectera
profondément ce qui est changeant, tout en restant lui-même inaffecté.
V : Comment savez-vous que vous êtes le témoin ?
N.M : Je ne sais pas, je suis. Je suis, parce que pour être, tout doit être attesté.

V : L’existence peut aussi être acceptée sur la base d’un ouï-dire.
N.M : Toujours est-il que vous en arrivez finalement à la nécessité d’un témoin direct. Le
témoignage, s’il n’est pas personnel et réel, doit être au moins possible et réalisable.
L’expérience directe est la preuve finale.
V : L’expérience peut être erronée et trompeuse.
N.M : Tout à fait, mais pas le fait d’une expérience. Quelle que soit l’expérience, vraie ou
fausse, le fait qu’une expérience ait eu lieu ne peut être nié. C’est sa propre preuve.
Observez-vous attentivement et vous verrez que, quel que soit le contenu de la
conscience, le fait d’en être témoin ne dépend pas du contenu. La présence est elle-même
et ne change pas avec l’événement. L’événement peut être agréable ou
désagréable, mineur ou important, la présence est la même. Prenez note de la nature
particulière de la présence pure, de son identité naturelle, sans la moindre trace
d’identification.
Vous vous rendrez vite compte que la conscience est votre véritable nature et que rien de
ce dont vous êtes conscient ne peut être considéré comme vôtre.
V : La conscience et son contenu ne sont-ils pas une seule et même chose ?
N.M : La conscience est comme un nuage dans le ciel et les gouttes d’eau en sont le
contenu. Le nuage a besoin du soleil pour devenir visible, et la conscience a besoin
d’être focalisée dans la présence. V : La présence n’est-elle pas une forme de
conscience ?
N.M : Lorsque le contenu est considéré sans goût ni aversion, la conscience qu’on en a est la conscience elle-même. Mais il y a toujours une différence entre la présence reflétée dans
la conscience et la conscience pure au-delà de la conscience obective. La présence réfléchie, le sens : “Je suis conscient”, est le témoin, tandis que la présence pure est l’essence de la réalité. Le reflet du soleil dans une goutte d’eau est un reflet du soleil, sans aucun doute, mais pas le soleil lui-même. Entre la présence reflétée dans la conscience en tant que témoin et la pure présence, il y a un fossé que l’esprit ne peut pas franchir.
V : Cela ne dépend-il pas de la façon dont vous le regardez ? Le mental dit qu’il y a une
différence. Le coeur dit qu’il n’y en a pas.
N.M : Bien sûr, il n’y a pas de différence. Le réel voit le réel dans l’irréel. C’est le mental qui
crée l’irréel et c’est le mental qui voit le faux comme faux.
V : J’ai compris que l’expérience du réel n’est possible qu’après avoir vu le faux comme faux.
N.M : L’expérience du réel n’existe pas. Le réel est au-delà de l’expérience. Toute
expérience est dans le mental. Vous connaissez le réel en étant le réel.
V : Si le réel est au-delà des mots et de l’esprit, pourquoi en parlons-nous tant ?
N.M : Pour le plaisir, bien sûr. Le réel est la félicité suprême. Le fait même d’en parler est
un bonheur.

V : Je vous entends parler de l’inébranlable et de la félicité. Qu’est-ce qui
vous vient à l’esprit quand vous utilisez ces mots ?
N.M : Il n’y a rien dans mon esprit. Comme vous entendez les mots, je les entends aussi. Le
pouvoir qui fait que tout arrive les fait aussi arriver.
V : Mais c’est vous qui parlez, pas moi.
N.M : C’est ainsi qu’il vous apparaît. Pour moi, deux corps-esprits échangent des sons
symboliques. En réalité, il ne se passe rien.
V : Écoutez, Monsieur. Je viens vous voir parce que j’ai des problèmes. Je suis une
pauvre âme perdue dans un monde que je ne comprends pas. J’ai peur de Mère Nature
qui veut que je grandisse, que je procrée et que je meure. Lorsque je lui demande le
sens et le but de tout cela, elle ne me répond pas. Je suis venu
à vous parce qu’on m’a dit que vous étiez bon et sage. Vous parlez du changeant
comme d’un faux et d’un éphémère et je peux le comprendre. Mais lorsque vous parlez
de l’immuable, je me sens perdu. “Pas ceci, pas cela, au-delà de la connaissance, sans
utilité” – pourquoi parler de tout cela ? Existe-t-il, ou n’est-ce qu’un concept, une
opposition verbale au changeant ?
N.M : C’est, et seul Cela est. Mais dans votre état actuel, cela ne vous est d’aucune utilité.
Tout comme le verre d’eau près de votre lit ne vous est d’aucune utilité, lorsque vous
rêvez que vous mourez de soif dans un désert. J’essaie de vous réveiller, quel que soit
votre rêve.
V : Ne me dites pas que je rêve et que je vais bientôt me réveiller. J’aimerais qu’il en soit
ainsi. Mais je suis éveillé et je souffre. Vous parlez d’un état sans douleur, mais vous
ajoutez que je ne peux pas l’avoir dans mon état actuel. Je me sens perdu.
N.M : Ne vous sentez pas perdu. Je dis seulement que pour trouver l’immuable et la félicité,
vous devez abandonner votre emprise sur le changeant et le douloureux. Vous vous
préoccupez de votre propre bonheur et je vous dis que cela n’existe pas. Le bonheur
n’est jamais le vôtre, il est là où le “je” n’est pas. Je ne dis pas qu’il est hors de votre
portée ; vous n’avez qu’à tendre la main au-delà de vous-même et vous le trouverez.
V : Si je dois me dépasser, pourquoi ai-je eu l’idée de “je suis” en premier lieu ?
N.M : Le mental a besoin d’un centre pour dessiner un cercle. Le cercle peut s’agrandir et
chaque fois qu’il s’agrandit, il y a un changement dans le sens “je suis”. Un homme qui
s’est pris en main, un yogi, dessinera une spirale, mais le centre restera, quelle que soit
l’ampleur de la spirale. Un jour vient où toute l’entreprise est considérée comme fausse et
est abandonnée. Le point central n’existe plus et l’univers devient le centre.
V : Oui, peut-être. Mais que dois-je faire maintenant ?
N.M : Observez assidûment votre vie en perpétuel changement, sondez profondément les
motifs qui sous-tendent vos actions et vous percerez bientôt la bulle dans laquelle vous
êtes enfermé. Un poussin a besoin de la coquille pour grandir, mais un jour vient où la
coquille doit être brisée. Sinon, c’est la souffrance et la mort.
V : Voulez-vous dire que si je ne me mets pas au yoga, je suis voué à l’extinction ?
N.M : Il y a le Guru qui viendra à votre rescousse. En attendant, contentez-vous d’observer
le cours de votre vie ; si votre vigilance est profonde et constante, toujours tournée vers la
source, elle remontera progressivement le courant jusqu’à devenir soudain la source.
Mettez votre présence au travail, pas votre mental. Le mental n’est pas l’instrument
adéquat pour cette tâche. L’intemporel ne peut être atteint que par l’intemporel. Votre
corps et votre esprit sont tous deux soumis au temps ; seule la présence est intemporelle,
même dans le présent. Dans la présence, vous êtes confrontés à des faits et la réalité est
gourmande en faits.
V : Vous êtes entièrement confiant en ma présence pour me prendre en charge et non au guru et à Dieu.
N.M : Dieu donne le corps et le mental et le guru montre la façon de les utiliser. Mais le
retour à la source est votre propre tâche.
V : Dieu m’a créé, il veillera sur moi.
N.M : Les dieux sont innombrables, chacun dans leur propre univers. Ils créent et recréent
éternellement. Allez-vous attendre qu’ils vous sauvent ? Ce dont vous avez besoin pour
votre salut est déjà à votre portée. Utilisez-le. Cherchez ce que vous connaissez jusqu’au
bout et vous atteindrez les couches inconnues de votre être. Allez plus loin et l’inattendu
explosera en vous et brisera tout.
V : Cela signifie-t-il la
mort ?

N.M : Cela signifie la
vie – enfin.

Nisargadatta Maharaj
Extrait traduit pour www.meditations-avec-sri-Nisargadatta-Maharaj.com .  Version originale éditée par Maurice Frydman à partir des enregistrements en Marathi de Nisargadatta Maharaj et  publiée dans – “I am That” Acorn Press

Je Suis 84 – Votre objectif est le Guru

le véritable guru


Visiteur : Vous nous disiez qu’il y a beaucoup de gurus autoproclamés, mais qu’un vrai guru est très rare. Il y a beaucoup de Jnani-s qui s’imaginent réalisés, mais tout ce
qu’ils ont est un savoir livresque et une haute opinion d’eux-mêmes.
Parfois, ils impressionnent, voire fascinent, attirent les disciples et leur font perdre leur
temps dans des pratiques inutiles. Après quelques années, lorsque le disciple fait le point
sur lui-même, il ne constate aucun changement. Lorsqu’il se plaint à son enseignant, il
reçoit le reproche habituel de ne pas avoir fait assez d’efforts. On accuse le manque de foi
et d’amour dans le coeur du disciple, alors qu’en réalité, la faute incombe au guru, qui
n’avait pas à accepter de disciples et à susciter leurs espoirs. Comment se protéger de
tels individus ?
Nisargadatta Maharaj : Pourquoi se préoccuper autant des autres ? Quel que soit le guru, s’il a le coeur pur et agit de bonne foi, il ne fera aucun mal à ses disciples. S’il n’y a pas de progrès, la faute en revient aux disciples, à leur paresse et à leur manque d’assiduité. En revanche, si le disciple est sérieux et s’applique intelligemment et avec ardeur à sa
sadhana, il rencontrera forcément un maître plus qualifié, qui le fera progresser. Votre
question découle de trois hypothèses erronées : 1/que l’on doit se préoccuper des autres,
2/que l’on peut évaluer les autres et 3/ que le progrès du disciple relève de la tâche et de la
responsabilité de son guru. En réalité, le rôle du guru est uniquement d’instruire et
d’encourager ; le disciple est totalement responsable de lui-même.
V : On nous dit qu’il suffit de s’abandonner totalement au guru, que le guru fera le reste.
N.M : Lorsqu’il y a abandon total, abandon complet de toute préoccupation concernant le
passé, le présent et l’avenir, la sécurité physique et spirituelle et le prestige social, alors une
nouvelle vie s’ouvre, pleine d’amour et de beauté ; alors le guru n’a plus d’importance, car
le disciple a brisé la carapace de l’autodéfense. L’abandon total de soi est en soi une
libération.
V : Lorsque le disciple et son maître sont tous deux inadéquats, que se passera-t-il ?
N.M : A long terme, tout ira bien. Après tout, le Soi réel des deux n’est pas affecté par la
comédie qu’ils jouent pendant un certain temps. Ils se dégriseront, mûriront et passeront
à un niveau de relation plus élevé.
V : Ou ils peuvent se séparer.
N.M : Oui, ils peuvent se séparer. Après tout, aucune relation n’est éternelle. La dualité est
un état temporaire.

V : Est-ce par accident que je vous ai rencontré et par un autre accident que nous nous séparerons pour ne plus jamais nous revoir ? Ou bien ma rencontre avec vous fait-elle partie d’un schéma cosmique, d’un fragment dans le grand drame de nos vies ?
N.M : Le réel est significatif et le significatif est lié à la réalité. Si notre relation est
significative pour vous et moi, elle ne peut pas être accidentelle. Le futur affecte le présent
autant que le passé.
V : Comment puis-je savoir qui est un vrai sage et qui ne l’est pas ?
N.M : Vous ne pouvez pas, à moins d’avoir une vision claire du coeur de l’homme. Les
apparences sont trompeuses. Pour voir clairement, votre esprit doit être pur et sans
attache. Si vous ne vous connaissez pas bien vous-même, comment pouvez-vous
connaître l’autre ? Et lorsque vous vous connaissez vous-même, vous êtes l’autre.
Laissez les autres tranquilles pendant un certain temps et examinez-vous. Il y a tant de
choses que vous ne savez pas sur vous-même – qu’êtes-vous, qui êtes-vous, comment
êtes-vous né, que faites-vous maintenant et pourquoi, où allez-vous, quel est le sens et le
but de votre vie, de votre mort, de votre avenir ? Avez-vous un passé, avez-vous un avenir
? Comment en es-tu arrivé à vivre dans la tourmente et le chagrin, alors que tout ton être
aspire au bonheur et à la paix ? Ces questions sont lourdes et doivent être traitées en
premier lieu. Vous n’avez ni besoin, ni le temps de chercher à savoir qui est Jnani et qui
ne l’est pas ?
V : Je dois bien choisir mon guru.
N.M : Soyez l’homme qu’il faut et le guru qu’il faut vous trouvera sûrement.
V : Vous ne répondez pas à ma question : comment trouver le bon guru ?
N.M : Mais j’ai répondu à votre question. Ne cherchez pas de guru, ne pensez même pas
à en trouver un. Faites de votre destination votre guru. Après tout, le guru n’est qu’un
moyen d’atteindre une fin, pas la fin elle-même. Il n’est pas important, c’est ce que vous
attendez de lui qui compte pour vous. Alors, qu’attendez-vous ?

V : Par sa grâce, je serai heureux, puissant et en paix.
N.M : Quelles ambitions ! Comment une personne limitée dans le temps et l’espace, un
simple corps-esprit, un souffle de douleur entre la naissance et la mort, peut-elle être
heureuse ? Les conditions mêmes de son apparition font que le bonheur est impossible. La paix, le pouvoir, le bonheur ne sont jamais des états personnels.
Personne ne peut dire “ma paix”, “mon pouvoir” – parce que “mon” implique l’exclusivité, ce
qui est fragile et incertain.
V : Je ne connais que mon existence conditionnée, il n’y a rien d’autre.
N.M : Vous ne pouvez certainement pas dire cela. Dans le sommeil profond, vous n’êtes
pas conditionné. Comme vous êtes prêt et disposé à vous endormir, comme vous êtes
paisible, libre et heureux quand vous dormez !
V : Je n’en sais rien.
N.M : En termes négatifs. Lorsque vous dormez, vous ne souffrez pas, vous n’êtes pas lié, vous n’êtes pas agité.
V : Je vois ce que vous voulez dire. Quand je suis éveillé, je sais que je suis, mais je ne
suis pas heureux ; quand je dors, je suis, je suis heureux, mais je ne le sais pas. Tout ce
dont j’ai besoin, c’est de savoir que je suis libre et heureux.
N.M : Tout à fait. Maintenant, intériorisez-vous, dans un état que vous pouvez comparer à un
état de sommeil éveillé, dans lequel vous êtes conscient de vous-même, mais pas du
monde. Dans cet état, vous saurez, sans la moindre trace de doute, qu’à la racine de votre
être, vous êtes libre et heureux. Le seul problème est que vous êtes accro à l’expérience
et que vous chérissez vos souvenirs. En réalité, c’est l’inverse : ce dont on se souvient n’est
jamais réel ; le réel, c’est maintenant.
V : Je saisis tout cela verbalement, mais cela ne devient pas une partie de moi-même.
Cela reste dans mon esprit comme une image à regarder. La tâche du guru n’est-elle
pas de donner vie à l’image ?
N.M : Encore une fois, c’est l’inverse. L’image est vivante, le mental est mort. Comme le
mental est fait de mots et d’images, toute réflexion dans le mental l’est aussi. Il recouvre la
réalité par la verbalisation et se plaint ensuite. Vous dites qu’il faut un guru pour faire des
miracles avec vous. Vous ne jouez qu’avec les mots. Le guru et le disciple sont une seule
et même chose, comme la bougie et sa flamme. Si le disciple n’est pas sincère, on ne peut
pas l’appeler disciple. Si le guru n’est pas plein d’amour et de don de soi, il ne peut être
appelé guru. Seule la réalité engendre la réalité, pas le faux.
V : Je vois que je suis faux. Qui me rendra vrai ?
N.M : Les mots mêmes que vous avez prononcés le feront. La phrase : ” Je peux voir que
je suis faux ” contient tout ce dont vous avez besoin pour la libération. Réfléchissez-y,
approfondissez-la, allez jusqu’à la racine ; elle fonctionnera. Le pouvoir est dans le mot,
pas dans la personne.
V : Je ne vous comprends pas tout à fait. D’un côté, vous dites qu’un guru est nécessaire ;
de l’autre, vous dites que le guru ne peut que donner des conseils, mais que c’est à moi de
faire l’effort. Pouvez-vous nous dire clairement si l’on peut réaliser le Soi sans guru ou s’il
est essentiel de trouver un vrai guru ?
N.M : Il est plus essentiel de trouver un vrai disciple. Croyez-moi, un vrai disciple est très rare, car en un rien de temps il dépasse le besoin d’un guru, en trouvant son propre Soi. Ne
perdez pas votre temps à essayer de déterminer si les conseils que vous recevez
découlent uniquement de la connaissance ou d’une expérience valable ? Contentez-vous
de les suivre fidèlement. La vie vous apportera un autre guru, si vous en avez besoin. Ou
bien elle vous privera de tout conseil extérieur et vous laissera à vos propres lumières. Il
est très important de comprendre que c’est l’enseignement qui compte, et non la forme
que prend le Guru.
Vous recevez une lettre qui vous fait rire ou pleurer. Ce n’est pas le facteur qui vous fait rire ou pleurer. Le guru ne fait que vous annoncer la bonne nouvelle concernant votre vrai Soi et
vous montrer le chemin pour y revenir. D’une certaine manière, le guru est son messager.
Il pourra il y avoir de nombreux messagers, mais le message est unique : soyez ce que vous êtes.
Ou, pour le dire autrement, tant que vous ne vous êtes pas réalisé, vous ne pouvez pas
savoir qui est votre véritable Guru. Lorsque vous vous réalisez, vous constatez que tous
les gurus que vous avez eus ont contribué à votre éveil. Votre prise de conscience est la
preuve que votre guru était réel. Par conséquent, prenez-le tel qu’il est, faites ce qu’il vous
dit, avec sérieux et zèle, et faites confiance à votre coeur pour vous avertir si
tout va mal. Si le doute s’installe, ne le combattez pas. Accrochez-vous à ce qui ne fait
aucun doute et laissez tomber ce qui est douteux.
V : J’ai un guru et je l’aime beaucoup. Mais je ne sais pas s’il est mon vrai guru.

N.M : Observez-vous. Si vous vous voyez changer, grandir, c’est que vous avez trouvé la
personne qu’il vous faut. Il peut être beau ou laid, agréable ou désagréable, vous flatter ou
vous gronder ; rien ne compte sauf le fait crucial de la croissance intérieure. Si ce n’est
pas le cas, il peut être votre ami, mais pas votre guru.
V : Lorsque je rencontre un Européen un peu instruit et que je lui parle d’un guru et de
ses enseignements, sa réaction est la suivante : ” Cet homme doit être fou pour
enseigner de telles absurdités “. Que dois-je lui dire ?
N.M : Ramenez-le à lui-même. Montrez-lui à quel point il se connaît mal, à quel point il
prend les affirmations les plus absurdes à son sujet pour de saintes vérités. On lui dit qu’il
est le corps, qu’il est né, qu’il mourra, qu’il a des parents, des devoirs ; il apprend à aimer
ce que les autres aiment et à craindre ce que les autres craignent.
Il est une créature de l’hérédité et de la société, il vit de mémoire et agit par habitudes.
Ignorant de lui-même et de ses véritables intérêts, il poursuit de faux objectifs et est
toujours frustré. Sa vie et sa mort sont insignifiantes et douloureuses, et il semble qu’il n’y
ait pas d’issue. Dites-lui alors qu’il existe une issue à sa portée, non pas une conversion à
un autre ensemble d’idées, mais une libération de toutes les idées et de tous les modes
de vie. Ne lui parlez pas de gurus et de disciples – cette façon de penser n’est pas pour
lui. Il s’agit d’un chemin intérieur, il est mû par un besoin intérieur et guidé par une lumière
intérieure. Invitez-le à se rebeller et il répondra. N’essayez pas de lui faire croire qu’untel
est un homme réalisé et qu’il peut être accepté comme guru. Tant qu’il n’a pas confiance
en lui-même, il ne peut pas faire confiance à un autre. La confiance viendra avec
l’expérience.
V : Comme c’est étrange ! Je ne peux pas imaginer la vie sans guru.
N.M : C’est une question de tempérament. Vous aussi, vous avez raison. Pour vous,
chanter les louanges de Dieu est suffisant. Vous n’avez pas besoin de désirer la
réalisation, ni d’entreprendre une sadhana. Le nom de Dieu est toute la nourriture dont
vous avez besoin. Vivez-en.
V : Cette répétition constante de quelques mots, n’est-ce pas une sorte de folie ?
N.M : C’est de la folie, mais c’est une folie intentionnelle. Toute répétition est tamas, mais
répéter le nom de Dieu est sattva-tamas en raison de son but élevé. En raison de la
présence de sattva, le tamas s’épuise et prend la forme d’une complète passivité, d’un
détachement, d’un abandon, d’une distanciation, d’une immuabilité.
Tamas devient alors le fondement solide sur lequel une vie intégrée peut
être vécue.

V : L’immuable meurt-il ?
N.M : C’est le changement qui meurt. L’immuable ne vit ni ne meurt, il est le témoin
intemporel de la vie et de la mort. Vous ne pouvez pas l’appeler mort, car il est conscient.
Vous ne pouvez pas non plus l’appeler vivant, car il ne change pas. Il est comme votre
magnétophone. Il enregistre, il reproduit – tout seul. Vous ne faites qu’écouter. De même,
j’observe tout ce qui se passe, y compris le fait que je vous parle. Ce n’est pas moi qui
parle, les mots apparaissent dans mon esprit et ensuite je les entends dire.
V : N’est-ce pas le cas pour tout le monde ?
N.M : Qui a dit non ? Mais vous insistez sur le fait que vous pensez, vous parlez, alors que
pour moi il y a le penser, il y a le parler.
V : Il y a deux cas à considérer. Soit j’ai trouvé un guru, soit je ne l’ai pas trouvé. Dans
chaque cas, quelle est la bonne chose à faire ?
N.M : Vous n’êtes jamais sans Guru, car il est éternellement présent dans votre coeur.
Parfois, il s’extériorise et vient à vous comme un facteur d’élévation et de réforme dans
votre vie, une mère, une épouse, un enseignant ; ou bien il demeure comme une pulsion
intérieure vers la droiture et la perfection. Tout ce que vous avez à faire est de lui obéir
et de faire ce qu’il vous dit. Ce qu’il veut que vous fassiez est simple : apprendre la
conscience de Soi, la maîtrise de Soi, l’abandon de Soi. Cela peut sembler difficile, mais
c’est facile si vous êtes sérieux. Et tout à fait impossible si vous ne l’êtes pas. Le sérieux
est à la fois nécessaire et suffisant. Tout cède au sérieux.
V : Qu’est-ce qui rend quelqu’un sérieux ?
N.M : La compassion est le fondement du sérieux. La compassion pour soi-même et pour
les autres, née de la souffrance, la sienne et celle des autres.
V : Dois-je souffrir pour être sérieux ?
N.M : Ce n’est pas nécessaire, si vous êtes sensible et si vous répondez à la douleur des
autres, comme l’a fait Bouddha. Mais si vous êtes insensible et sans la moindre
compassion, votre propre souffrance vous amènera à vous poser les questions
inévitables.
V : Je souffre, mais pas assez. La vie est désagréable, mais supportable. Mes petits
plaisirs compensent mes petites peines et, dans l’ensemble, je suis mieux loti que la
plupart des gens que je connais. Je sais que ma condition est précaire, qu’une calamité
peut m’atteindre à tout moment. Dois-je attendre une crise pour me mettre sur le chemin
de la vérité ?
N.M : Dès l’instant où vous avez constaté la fragilité de votre état, vous êtes déjà en
alerte. Maintenant, restez vigilant, prêtez attention, enquêtez, investiguez, découvrez
vos égarements du corps et de l’esprit et laissez-les tomber.
V : D’où vient l’énergie ? Je suis comme un homme paralysé dans une maison en feu.
N.M : Même les paralysés retrouvent parfois leurs jambes au moment du danger ! Mais
vous n’êtes pas paralysé, vous l’imaginez seulement. Faites le premier pas et vous serez
sur la bonne voie.
V : J’ai l’impression que mon emprise sur le corps est si forte que je ne peux pas
abandonner l’idée que je suis le corps. Elle s’accrochera à moi aussi longtemps que le
corps durera. Il y a des gens qui soutiennent qu’aucune réalisation n’est possible de
son vivant et je suis enclin à être d’accord avec eux.
N.M : Avant d’être d’accord ou non, pourquoi ne pas étudier l’idée même d’un corps ? La
conscience apparaît-elle dans le corps ou le corps dans la conscience ? Il est certain qu’il
doit y avoir une conscience pour concevoir l’idée du “je suis le corps”. Un corps sans
pensée ne peut pas être “mon corps”. ‘Mon’ corps est invariablement absent lorsque le
mental est en suspens. Il est également absent lorsque le mental est profondément
engagé dans des pensées et des sentiments. Une fois que vous aurez compris que le
corps dépend de la pensée, et la pensée de la conscience, et la conscience de la
présence, et non l’inverse, vous trouverez la réponse à votre question concernant
l’attente de la réalisation de soi jusqu’à votre mort. Il ne s’agit pas de se libérer d’abord de
l’idée du “je suis le corps”, puis de réaliser le Soi. C’est tout le contraire : vous vous
accrochez au faux parce que vous ne connaissez pas le vrai. La sincérité, et non la
perfection, est une condition préalable à la réalisation du Soi. Vertus et dons viennent
avec la réalisation, pas avant.

Nisargadatta Maharaj
Extrait traduit pour www.meditations-avec-sri-Nisargadatta-Maharaj.com .  Version originale éditée par Maurice Frydman à partir des enregistrements en Marathi de Nisargadatta Maharaj et  publiée dans – “I am That” Acorn Press

Je Suis 83 – Le véritable Guru

Nisaargadatta

Visiteur : Vous disiez l’autre jour qu’à l’origine de votre réalisation, il y avait la
confiance en votre guru. Il vous a assuré que vous étiez déjà la réalité absolue et qu’il
n’y avait plus rien à faire. Vous lui avez fait confiance et vous en êtes resté là, sans effort.
Ma question est la suivante : sans la confiance en votre guru, auriez-vous réalisé votre
véritable nature ? Après tout, ce que vous êtes, vous l’êtes, que votre esprit ait confiance ou non ; ou bien le doute entraverait-il l’action des paroles du Guru et les rendrait-il inopérantes ?
Nisargardatta Maharaj : Vous l’avez dit, elles auraient été rendues inopérantes, pour un temps.
V : Et qu’arriverait-il à l’énergie, ou au pouvoir des mots du Guru ?
N.M : Elle resterait latente, non manifestée. Mais toute cette question repose sur un
malentendu. Le maître, le disciple, l’amour et la confiance entre eux, tout cela constitue un
seul fait, et non pas plusieurs faits indépendants. Chacun fait partie de l’autre. Sans
l’amour et la confiance, il n’y aurait eu ni guru, ni disciple, ni relation entre eux. C’est
comme appuyer sur un interrupteur pour allumer une lampe électrique. C’est parce que la
lampe, le câblage, l’interrupteur, le transformateur, les lignes de transmission et la centrale
électrique forment un tout unique que vous obtenez la lumière. Si l’un de ces facteurs
manquait, il n’y aurait pas de lumière. Il ne faut pas séparer ce qui est inséparable. Les
mots ne créent pas les faits ; ils les décrivent ou les déforment. Le fait est toujours non
verbal.
V : Je ne comprends toujours pas ; la parole du Guru peut-elle rester inaccomplie ou
s’avérera-t-elle invariablement vraie ?
N.M : Les paroles d’un homme réalisé ne manquent jamais leur but. Elles attendent que les
bonnes conditions se présentent, ce qui peut prendre un certain temps, et c’est naturel,
car il y a une saison pour semer et une saison pour récolter. Mais la parole d’un guru est
une semence qui ne peut pas périr. Bien sûr, le guru doit être authentique Guru, au-delà
du corps et de l’esprit, au-delà de la conscience elle-même, au-delà de l’espace et du
temps, au-delà de la dualité et de l’unité, au-delà de la compréhension et de la description.
Les bonnes gens, qui ont beaucoup lu et ont beaucoup à dire, peuvent vous enseigner
beaucoup de choses utiles, mais ils ne sont pas les vrais guru-s dont les paroles se
réalisent invariablement. Ils peuvent aussi vous dire que vous êtes la réalité ultime elle-même, mais qu’en est-il ?
V : Néanmoins, si pour une raison quelconque je leur fais confiance et que j’obéis, seraije
perdant ?

N.M : Si vous êtes capable de faire confiance et d’obéir, vous trouverez bientôt
votre vrai guru, ou plutôt, c’est lui qui vous trouvera.
V : Est-ce que tout connaisseur du Soi devient un guru, ou peut-on être un connaisseur
de la Réalité sans être capable d’y amener les autres ?
N.M : Si vous savez ce que vous enseignez, vous pouvez enseigner ce que vous savez.
Ici, le rôle de voyant et le rôle d’enseignant ne font qu’un. Mais la réalité absolue est au-delà
des deux. Les gurus autoproclamés parlent de maturité et d’effort, de mérites et de
réalisations, de destin et de grâce ; tout cela ne sont que des formations mentales, des
projections d’un mental dépendant. Au lieu d’aider, elles font obstacle.
V : Comment savoir qui suivre et à qui se méfier ?
N.M : Méfiez-vous de tout, jusqu’à ce que vous soyez convaincu. Le véritable guru ne vous
humiliera jamais, pas plus qu’il ne vous éloignera de vous-même. Il vous ramènera
constamment au fait de votre perfection inhérente et vous encouragera à chercher en
vous. Il sait que vous n’avez besoin de rien, pas même de lui, et ne se lasse pas de vous
le rappeler. Mais le guru autoproclamé se préoccupe davantage de lui-même que de ses
disciples.
V : Vous avez dit que la réalité est au-delà de la connaissance et de l’enseignement du
réel. La connaissance du réel n’est-elle pas le suprême lui-même et l’enseignement la
preuve de sa réalisation ?
N.M : La connaissance du réel, ou du Soi, est un état d’esprit. Enseigner à un autre
est un mouvement dans la dualité. Ils ne concernent que le mental ; sattva est
tout de même un guna.

V : Qu’est-ce qui est réel alors ?
N.M : Celui qui connaît le mental comme non réalisé et réalisé, qui connaît l’ignorance et la
connaissance comme des états du mental, celui-là est le authentique. Lorsqu’on vous
donne des diamants mélangés à du gravier, vous pouvez soit manquer les diamants, soit
les trouver. Ce qui compte, c’est de percevoir. Où sont la grisaille du gravier et la beauté
du diamant, sans le pouvoir de la vision ? Le connu n’est qu’une forme et la
connaissance n’est qu’un nom. Le connaisseur n’est qu’un état d’esprit. Le réel est au-delà.
V : Il est certain que la connaissance objective et les idées sur les choses et la
connaissance du Soi ne sont pas une seule et même chose.
L’un a besoin d’un cerveau, l’autre non.
N.M : Pour les besoins de la discussion, vous pouvez arranger les mots et leur donner un
sens, mais il n’en reste pas moins que toute connaissance est une forme d’ignorance.
La carte la plus précise n’est encore que du papier. Toute connaissance est dans la
mémoire, elle n’est que reconnaissance, alors que la réalité est au-delà de la dualité du
connaissant et du connu.
V : Alors par quoi la réalité est-elle connue ?
N.M : Comme votre langage est trompeur ! Vous supposez, inconsciemment, que la réalité
est également accessible par la connaissance. Et alors, vous ferez intervenir un
connaisseur de la réalité au-delà de la réalité ! Comprenez bien que pour être, la réalité
n’a pas besoin d’être connue. L’ignorance et la connaissance sont dans l’esprit, pas dans
le réel.
V : Si la connaissance du réel n’existe pas, comment puis-je l’atteindre ?
N.M : Vous n’avez pas besoin de tendre la main vers ce qui est déjà en vous. Le fait même
de tendre la main fait que vous le manquez. Abandonnez l’idée que vous ne l’avez pas
trouvé et laissez-le venir dans le foyer de la perception directe, ici et maintenant, en
enlevant tout ce qui est du mental.
V : Lorsque tout ce qui peut disparaître disparaît, que reste-t-il ?
N.M : Le vide demeure, la présence demeure, la pure lumière de l’être conscient demeure.
C’est comme si l’on demandait ce qu’il reste d’une pièce lorsque tous les meubles ont été
enlevés. Il reste une pièce très fonctionnelle. Et lorsque même les murs sont abattus, l’espace demeure. Au-delà de l’espace et du temps, il y a l’ici et le maintenant de la réalité.
V : Le témoin reste-t-il ?
N.M : Tant qu’il y a une conscience, son témoin est également présent. Les deux
apparaissent et disparaissent ensemble.
V : Si le témoin est lui aussi éphémère, pourquoi lui accorde-t-on tant d’importance ?
N.M : Juste pour rompre le charme du connu, l’illusion que seul le perceptible est
réel.

V : La perception est primaire, le témoin est secondaire.
N.M : C’est le coeur du problème. Tant que vous croyez que seul le monde extérieur est réel,
vous en restez l’esclave. Pour devenir libre, votre attention doit être attirée par le “je suis”,
le témoin. Bien sûr, le connaisseur et le connu sont un et non deux, mais pour rompre le
charme du connu, le connaisseur doit être mis au premier plan. Ni l’un ni l’autre ne sont
primaires, les deux sont des reflets dans la mémoire de l’expérience ineffable, toujours
nouvelle et toujours actuelle, intraduisible, plus rapide que l’esprit.
V : Monsieur, je suis un humble chercheur, errant de guru en guru à la recherche de la
libération. Mon esprit est malade, brûlant de désir, gelé par la peur. Mes jours défilent,
rouges de douleur, gris d’ennui. Mon âge avance, ma santé se dégrade, mon avenir est
sombre et effrayant. À ce rythme, je vivrai dans le chagrin et mourrai dans le désespoir.
Y a-t-il encore un espoir pour moi ? Ou suis-je arrivé trop tard ?
N.M : Il n’y a rien qui aille mal chez vous, mais l’idée que vous vous faites de vous-même
est tout à fait erronée. Ce n’est pas vous qui désirez, craignez et souffrez, c’est la
personne construite sur les fondations de votre corps par les circonstances et les
influences. Vous n’êtes pas cette personne. Cela doit être clairement établi dans votre
esprit et ne jamais être perdu de vue. En général, cela nécessite une sadhana
prolongée, des années d’austérité et de méditation.
V : Mon esprit est faible et vacillant. Je n’ai ni la force ni la ténacité pour la
sadhana. Mon cas est donc désespéré.
N.M : D’une certaine manière, votre cas est plein d’espoir. Il y a une alternative à la
sadhana, c’est la confiance. Si vous ne pouvez pas avoir la conviction née d’une
recherche fructueuse, alors profitez de ma découverte, que je suis si désireux de partager
avec vous. Je vois avec la plus grande clarté que vous n’avez jamais été, ni n’êtes, ni ne
serez jamais coupé de la réalité, que vous êtes la plénitude de la perfection ici et
maintenant et que rien ne peut vous priver de votre héritage, de ce que vous êtes. Vous
n’êtes en rien différent de moi, seulement vous ne le savez pas. Vous ne savez pas ce
que vous êtes et vous vous imaginez donc être ce que vous n’êtes pas. D’où les désirs, la
peur et le désespoir accablant. Et des activités dénuées de sens pour s’échapper.
Faites-moi confiance et vivez dans cette confiance. Je ne vous induirai pas en erreur.
Vous êtes la Réalité suprême, au-delà du monde et de son créateur, au-delà de la
conscience et de son témoin, au-delà de toutes les affirmations et de tous les démentis.
Souvenez-vous-en, pensez-y, agissez en conséquence. Abandonnez tout sentiment de
séparation, voyez vous en tout et agissez en conséquence. La félicité viendra avec l’action
et, avec la félicité, la conviction. Après tout, vous doutez de vous-même parce que vous
êtes dans le chagrin. Le bonheur, naturel, spontané et durable ne peut être imaginé. Soit il
est là, soit il n’est pas là. Lorsque vous commencerez à faire l’expérience de la paix, de
l’amour et du bonheur qui n’ont pas besoin de causes extérieures, tous vos doutes se
dissiperont.
Saisissez ce que je vous ai dit et vivez en conséquence.

V : Vous me dites de vivre en fonction de la mémoire ?
N.M : Vous vivez de toute façon par la mémoire. Je vous demande simplement de
remplacer les vieux souvenirs par le souvenir de ce que je vous ai dit. Comme vous
agissiez en fonction de vos anciennes mémoires, agissez en fonction de la nouvelle.
N’ayez pas peur. Pendant un certain temps, il y aura forcément un conflit entre l’ancien et
le nouveau, mais si vous vous placez résolument du côté du nouveau, le conflit ne tardera
pas à s’apaiser.
Vous vous rendrez compte de l’état sans effort d’être Soi, de ne pas être trompé par les
désirs et les peurs nés de l’illusion.
V : De nombreux gurus ont l’habitude de donner des gages de leur grâce – leur couvre-chef,
ou leurs bâtons, ou leur bol de mendicité, ou leur robe, transmettant ou confirmant
ainsi la réalisation du Soi de leurs disciples. Je ne vois pas l’intérêt de telles pratiques. Ce
n’est pas la réalisation du Soi qui est transmise, mais l’importance de soi. À quoi cela
sert-il de se faire dire quelque chose de très flatteur, mais qui n’est pas vrai ? D’une part,
vous me mettez en garde contre les nombreux gurus qui se prétendent tels et, d’autre
part, vous voulez que je vous fasse confiance. Pourquoi prétendez-vous être une
exception ?
N.M : Je ne vous demande pas de me faire confiance. Faites confiance à mes paroles et
souvenez-vous-en, je veux votre bonheur, pas le mien. Méfiez-vous de ceux qui mettent
une distance entre vous et votre être véritable et qui se proposent comme intermédiaire.
Je ne fais rien de tel. Je ne fais même pas de promesses. Je dis simplement : si vous
faites confiance à mes paroles et les mettez à l’épreuve, vous découvrirez par vous-même
à quel point elles sont vraies. Si vous demandez une preuve avant de vous
lancer, je ne peux que vous répondre : Je suis la preuve. J’ai fait confiance aux paroles
de mon maaître, je les ai gardées à l’esprit et j’ai découvert qu’il avait raison, que
j’étais, que je suis et que je serai la Réalité Infinie, qui englobe tout, qui transcende tout.
Comme vous le dites, vous n’avez ni le temps ni l’énergie pour de longues pratiques. Je
vous propose une alternative. Acceptez mes paroles en toute confiance et vivez à
nouveau, ou vivez et mourez dans le chagrin.
V : Cela semble trop beau pour être vrai.
N.M : Ne vous laissez pas tromper par la simplicité du conseil. Rares sont ceux qui ont le
courage de faire confiance à l’innocence et à la simplicité. Savoir que l’on est prisonnier
de son esprit, que l’on vit dans un monde imaginaire créé par soi-même est l’aube de la
sagesse. Ne rien vouloir de ce dernier, être prêt à l’abandonner complètement.
Seul ce sincérité, né d’un véritable désespoir, vous permettra de me faire confiance.
V: N’ai-je pas assez souffert ?
N.M : La souffrance vous a rendu aveugle, incapable d’en voir la grandeur. Votre première
tâche est de voir le chagrin en vous et autour de vous ; la suivante est de désirer
intensément la libération. L’intensité même de ce désir vous guidera ; vous n’avez
besoin d’aucun autre guide.
V : La souffrance m’a rendu terne, indifférent même à elle-même.
N.M : Peut-être que ce n’est pas le chagrin mais le plaisir qui vous a rendu abruti. Investiguez cela.
V : Quelle qu’en soit la cause, je suis apathique. Je n’ai ni volonté ni énergie.
N.M : Oh, non. Vous en avez assez pour la première étape. Et chaque étape génère assez
d’énergie pour la suivante. L’énergie vient avec la confiance et la confiance vient avec
l’expérience.
V : Est-il normal de changer de guru ?
N.M : Pourquoi ne pas changer ? Les gurus sont comme des jalons. Il est naturel de
passer de l’un à l’autre. Chacun vous indique la direction et la distance, tandis que le
Sadguru, le Guru éternel, est la route elle-même. Une fois que vous réalisez que la route
est le but et que vous êtes toujours sur la route, non pas pour atteindre un but, mais pour
profiter de sa beauté et de sa sagesse, la vie cesse d’être une tâche et devient naturelle
et simple, en soi une extase.
V : Il n’est donc pas nécessaire d’adorer, de prier, de pratiquer le yoga ?
N.M : Un peu de nettoyage, de toilette et de bain quotidien ne peut pas faire de mal. La
présence du Soi vous indique à chaque étape ce qu’il faut faire. Lorsque tout est fait, le
mental demeure tranquille.
Vous êtes maintenant à l’état de veille, une personne avec un nom et une forme, des
joies et des peines. Cette personne n’existait pas avant votre naissance et n’existera
pas non plus après votre mort. Au lieu de lutter avec la personne pour qu’elle devienne
ce qu’elle n’est pas, pourquoi ne pas dépasser l’état de veille et quitter complètement la
vie personnelle ? Cela ne signifie pas l’extinction de la personne ; cela signifie seulement la voir dans une juste perspective.
V : Encore une question. Vous avez dit qu’avant de naître, je ne faisais qu’un avec l’être
pur de la réalité ; si c’est le cas, qui a décidé que je devais naître ?
N.M : En réalité, vous n’êtes jamais né et ne mourrez jamais. Mais maintenant vous
imaginez que vous l’êtes, ou que vous avez un corps, et vous demandez ce qui a
provoqué cet état. Dans les limites de l’illusion, la réponse pourrait être : le désir né de la mémoire vous attire vers un corps et vous fait agir comme si vous ne faisiez qu’un avec lui. Mais cela n’est vrai que d’un point de vue relatif. En fait, il n’y a pas de corps, ni de monde pour le contenir ; il n’y a qu’un état mental, un état de rêve, facile à dissiper, en s’interrogeant sur sa réalité.
V : Après votre mort, reviendrez-vous ? Si je vis assez longtemps, je vous rencontrerai à nouveau.
N.M : Pour vous, le corps est réel, pour moi il n’y en a pas. Moi, tel que vous me voyez, je
n’existe que dans votre imagination. Vous me reverrez certainement, si et quand vous
aurez besoin de moi. Cela ne m’affecte pas : comme le soleil n’est pas affecté par les
levers et les couchers de soleil. Parce qu’il n’est pas affecté, il est certain d’être là quand
on a besoin de lui.
Vous êtes avide de connaissances, pas moi. Je n’ai pas ce sentiment d’insécurité qui
vous pousse à vouloir savoir. Je suis curieux, comme un enfant l’est. Mais aucune anxiété
ne me pousse à me réfugier dans le savoir. C’est pourquoi je ne m’inquiète pas de savoir
si je vais renaître, ou combien de temps durera le monde. Ce sont des questions qui
naissent de la peur.

Nisargadatta Maharaj
Extrait traduit pour www.meditations-avec-sri-Nisargadatta-Maharaj.com .  Version originale éditée par Maurice Frydman à partir des enregistrements en Marathi de Nisargadatta Maharaj et  publiée dans – “I am That” Acorn Press

Je suis 82 – La perfection absolue est ici et maintenant

nisargadatta maharaj

Visiteur : La guerre est en cours. Quelle est votre attitude face à elle ?
Nisargadatta Maharaj : À un endroit ou à un autre, sous une forme ou une autre, la guerre est toujours en cours. Y a-t-il eu une époque où il n’y avait pas de guerre ? Certains disent que c’est la volonté divine. D’autres disent que c’est le jeu divin. C’est une autre façon de dire que les guerres sont inévitables et que personne n’en est responsable.
V : Mais quelle est votre propre attitude ?
N.M : Pourquoi m’imposer des attitudes ? Je n’ai pas d’attitude qui me soit propre.
V : Quelqu’un est certainement responsable de ce carnage horrible et insensé. Pourquoi les gens s’entretuent-ils si facilement ?
N.M : Chercher le coupable à l’intérieur de vous. Les idées de “moi” et de “mien” sont à
l’origine de tous les conflits. Libérez-vous de ces idées et vous sortirez du conflit.
V : Qu’en est-il du fait que je ne sois plus en conflit ? Cela n’affectera pas la guerre. Si je suis la cause de la guerre, je suis prêt à être détruit. Pourtant, il va de soi que la disparition d’un millier de personnes comme moi n’arrêtera pas les guerres. Elles n’ont pas commencé avec ma naissance et ne se termineront pas avec ma mort. Je ne suis pas responsable. Qui l’est ?
N.M : Les conflits et les luttes font partie de l’existence. Pourquoi ne demandez-vous pas qui est responsable de l’existence ?
V : Pourquoi dites-vous que l’existence et le conflit sont inséparables ? N’y a-t-il pas
d’existence sans conflit ? Je n’ai pas besoin de combattre les autres pour être moi-même.
N.M : Vous combattez les autres en permanence pour votre survie en tant que corps-esprit
séparé, en tant que nom et forme particuliers. Pour vivre, il faut détruire. Dès votre
conception, vous avez entamé une guerre avec votre environnement – une guerre sans
merci d’extermination mutuelle, jusqu’à ce que la mort vous libère.
V : Ma question reste sans réponse. Vous ne faites que décrire ce que je connais : la vie
et ses peines. Mais vous ne dites pas qui est responsable. Lorsque je vous presse, vous
rejetez la faute sur Dieu, ou sur le karma, ou sur ma propre avidité et ma propre peur – ce
qui ne fait qu’inviter à poser d’autres questions. Donnez-moi la réponse finale.
N.M : La réponse finale est la suivante : rien n’est. Tout est une apparition momentanée
dans le champ de la conscience universelle ; la continuité en tant que nom et forme n’est
qu’une création mentale, facile à dissiper.
V : Je m’interroge sur l’immédiat, le transitoire, l’apparence. Voici la photo d’un enfant tué
par des soldats. C’est un fait – il vous regarde. Vous ne pouvez pas le nier. Maintenant, qui
est responsable de la mort de cet enfant ?
N.M : Personne et tout le monde. Le monde est ce qu’il contient et chaque chose affecte
toutes les autres. Nous tuons tous l’enfant et nous mourons tous avec lui. Chaque
événement a des causes innombrables et produit des effets innombrables. Il est inutile de
faire des comptes, rien n’est traçable.
V : Votre peuple parle de karma et de rétribution.
N.M : Ce n’est qu’une approximation grossière : en réalité, nous sommes tous créateurs et
créatures les uns des autres, causant et portant le fardeau les uns des autres.
V : L’innocent souffre donc pour le coupable ?
N.M : Dans notre ignorance, nous sommes innocents ; dans nos actes, nous sommes
coupables. Nous péchons sans savoir et souffrons sans comprendre. Notre seul espoir :
s’arrêter, regarder, comprendre et sortir des pièges de la mémoire. Car la mémoire nourrit
l’imagination et l’imagination engendre le désir et la peur.
V : Pourquoi l’imagination alors ?
N.M : La lumière de la conscience traverse le film de la mémoire et projette des images sur
votre mental. A cause de l’état déficient et désordonné de votre cerveau, ce que vous
percevez est déformé et coloré par des sentiments de sympathie et d’antipathie. Rendez
votre pensée ordonnée et libre de toute connotation émotionnelle, et vous verrez les gens
et les choses tels qu’ils sont, avec clarté et charité.
Le témoignage de la naissance, de la vie et de la mort est un seul et même témoignage.
C’est le témoin de la douleur et de l’amour. Car si l’existence dans la limitation et la
séparation est douloureuse, nous l’aimons. Nous l’aimons et la détestons en même temps.
Nous nous battons, nous tuons, nous détruisons des vies et des biens et pourtant nous
sommes dotés d’affection et d’abnégation. Nous nourrissons tendrement l’enfant et le
rendons orphelin à son tour. Notre vie est pleine de contradictions. Pourtant, nous nous y
accrochons. Cet attachement est à l’origine de tout. Et pourtant, c’est tout à fait
superficiel.
Nous nous accrochons à quelque chose ou à quelqu’un, de toutes nos forces, et l’instant
d’après nous l’oublions ; comme un enfant qui façonne ses pâtés de sable et les
abandonne le coeur léger.
Touchez-les – il hurlera de colère; détourner son attention et il les oubliera. Parce que notre vie, c’est maintenant, et que l’amour, c’est maintenant.
Nous aimons la variété, le jeu de la douleur et du plaisir, nous sommes fascinés par les
contrastes. Pour cela, nous avons besoin des contraires et de leur apparente séparation.
Nous les apprécions pendant un certain temps, puis nous sommes fatigués et aspirons à
la paix et au silence de l’être pur. Le coeur cosmique bat sans cesse. J’en suis le témoin et
le coeur aussi.
V : Je vois le tableau, mais qui est le peintre ? Qui est responsable de cette terrible et
pourtant adorable expérience ?
N.M : Le peintre est dans le tableau. Vous séparez le peintre du tableau et vous le cherchez.
Ne séparez pas et ne posez pas de fausses questions. Les choses sont telles qu’elles
sont et personne en particulier n’est responsable. L’idée de la responsabilité personnelle
vient de l’illusion de faire quelque chose. Quelqu’un doit l’avoir fait, quelqu’un est
responsable. La société actuelle, avec son cadre de lois et de coutumes, est fondée sur
l’idée d’une personnalité distincte et responsable, mais ce n’est pas la seule forme que
peut prendre une société. Il peut y avoir d’autres formes, où le sens de la séparation est
faible et la responsabilité diffuse.
V : Un individu ayant un faible sens de la personnalité est-il plus proche de la réalisation du Soi ?
N.M : Prenons le cas d’un jeune enfant. Le sens du “je suis” n’est pas encore formé, la
personnalité est rudimentaire. Les obstacles à la connaissance du soi sont peu nombreux,
mais la puissance et la clarté de la présence, sa largeur et sa profondeur font défaut. Au fil
des ans, la présence consciente se renforcera, mais la personnalité latente émergera,
s’obscurcira et se complexifiera. De même que plus le bois est dur, plus la flamme est
chaude, de même plus la personnalité est forte, plus la lumière générée par sa destruction
est brillante.
V : N’avez-vous pas de problèmes ?
N.M : J’ai des problèmes. Je vous l’ai déjà dit. Être, exister avec un nom et une forme est
douloureux, mais cependant j’aime cela.
V : Mais vous aimez tout !
N.M : Dans l’existence, tout est contenu. Ma nature même est d’aimer ; même le
douloureux est aimable.
V : Cela ne le rend pas moins douloureux. Pourquoi ne pas rester dans l’illimité ?
N.M : C’est l’instinct d’exploration, l’amour de l’inconnu, qui m’amène à l’existence. Il est
dans la nature de l’être de voir l’aventure dans le devenir, comme il est dans la nature
même du devenir de chercher la paix dans l’être. Cette altération de l’être et du devenir
est inévitable, mais ma maison est au-delà.
V : Votre demeure est-elle en Dieu ?
N.M : Aimer et vénérer un dieu, c’est aussi de l’ignorance. Ma maison est au-delà de toutes
les notions, aussi sublimes soient-elles.
V : Mais Dieu n’est pas une notion ! C’est la réalité au-delà de l’existence.
N.M : Vous pouvez utiliser le mot que vous voulez. Quoi que vous puissiez imaginer, je suis au-delà de tout cela.
V : Une fois que vous connaissez votre demeure, pourquoi ne pas y rester ? Qu’est-ce qui vous en fait sortir ?
N.M : C’est par amour pour l’existence de sa propre manifestation que l’on naît et, une fois
né, on est impliqué dans le destin. Le destin est inséparable du devenir. Le désir d’être le
particulier fait de vous une personne avec tout son passé et son avenir personnels.
Regardez un grand homme, quel homme merveilleux il était ! Et pourtant, combien sa vie
a été troublée et ses fruits limités. Combien la personnalité de l’homme est dépendante et
combien son monde est indifférent. Et pourtant, nous l’aimons et la protégeons pour son
insignifiance même.
V : La guerre est en cours, le chaos règne et l’on vous demande de prendre en charge
un centre d’alimentation. On vous donne ce qu’il faut, il s’agit seulement de faire le
travail. Allez-vous refuser ?
N.M : Travailler ou ne pas travailler, c’est la même chose pour moi. Je peux prendre les
choses en main ou non. Il peut y avoir d’autres personnes mieux qualifiées que moi pour
ce genre de tâches – des cuisiniers professionnels, par exemple. Mais mon attitude est
différente. Je ne considère pas la mort comme une calamité, pas plus que je ne me
réjouis de la naissance d’un enfant. L’enfant est promis à des ennuis, tandis que le mort
en est exempt.
L’attachement à la vie est un attachement à la douleur. Nous aimons ce qui nous fait
souffrir. Telle est notre nature. Pour moi, le moment de la mort sera un moment de
jubilation, pas de peur. J’ai pleuré à ma naissance et je mourrai en riant.
V : Quel est le changement de conscience au moment de la mort ?
N.M : Quel changement attendez-vous ? Lorsque la projection du film se termine, tout reste
identique à ce qui a commencé. L’état avant votre naissance était aussi l’état après la
mort, si vous vous en souvenez.
V : Je ne me souviens de rien.
N.M : Parce que vous ne vous y êtes jamais intéressé. Il s’agit seulement d’accorder le mental. Cela demande d’y consacrer du temps, bien sûr.
V : Pourquoi ne participez-vous pas au travail social ?
N.M : Mais je ne fais rien d’autre à longueur de temps ! Quel autre travail social voulez-vous que je fasse ? Le patchwork n’est pas pour moi. Ma position est claire : produire
pour distribuer, nourrir avant de manger, donner avant de prendre, penser aux autres
avant de penser à soi. Seule une société altruiste basée sur le partage peut être stable et
heureuse. C’est la seule solution pratique. Si vous n’en voulez pas – alors battez-vous.
V : Tout est une question de guna-s. Là où tamas et rajas prédominent, il y a forcément
la guerre. Là où sattva domine, il y a la paix.
N.M : Quelle que soit la façon dont vous l’interprétez, cela revient au même. La société est
construite sur des motivations. Mettez de la bienveillance dans les fondations et vous
n’aurez pas besoin de travailleurs sociaux spécialisés.
V : Le monde s’améliore.
N.M : Le monde a eu tout le temps de s’améliorer, mais il ne l’a pas fait : Quel espoir y a-t-il
pour l’avenir ? Bien sûr, il y a eu et il y aura des périodes d’harmonie et de paix, lorsque
sattva était en ascension, mais les choses sont détruites par leur propre perfection. Une
société parfaite est nécessairement statique et, par conséquent, elle stagne et se
décompose. Depuis le sommet, tous les chemins mènent vers le bas. Les sociétés sont
comme les personnes : elles naissent, grandissent jusqu’à un certain point de perfection
relative, puis se décomposent et meurent.
V : N’existe-t-il pas un état de perfection absolue qui ne se dégrade pas ?
N.M : Tout ce qui a un début doit avoir une fin. Dans l’intemporel, tout est parfait, ici et
maintenant.
V : Mais parviendrons-nous à l’intemporel en temps voulu ?
N.M : En temps voulu, nous reviendrons au point de départ. Le temps ne peut pas nous
sortir du temps, comme l’espace ne peut pas nous sortir de l’espace. Tout ce qu’on
obtient en attendant, c’est plus d’attente. La perfection absolue est ici et maintenant, pas
dans un futur proche ou lointain. Le secret est en action – ici et maintenant. C’est votre
comportement qui vous rend aveugle à vous-même. Faites abstraction de ce que vous
pensez être et agissez comme si vous étiez absolument parfait – quelle que soit votre
idée de la perfection. Tout ce dont vous avez besoin, c’est de courage.
V : Où trouver un tel courage ?
N.M : En vous-même, bien sûr. Regardez à l’intérieur de vous.

V : Votre grâce nous aidera.
N.M : Ma grâce vous dit maintenant : regardez à l’intérieur. Vous avez tout ce dont vous
avez besoin. Utilisez-le. Comportez-vous du mieux que vous pouvez, faites ce que vous
pensez devoir faire. N’ayez pas peur des erreurs, vous pouvez toujours les corriger,
seules les intentions comptent. La forme que prennent les choses n’est pas en votre
pouvoir, par contre les motifs de vos actions le sont.
V : Comment une action née de l’imperfection peut-elle conduire à la perfection ?
N.M : L’action ne mène pas à la perfection ; la perfection s’exprime dans l’action. Tant que
vous vous jugez par vos expressions, accordez-leur la plus grande attention ; lorsque
vous réaliserez être, véritable votre comportement sera parfait – spontanément.
V : Si je suis éternellement parfait, alors pourquoi suis-je né ? Quel est le but de cette vie ?
N.M : C’est comme demander : quel est l’intérêt pour l’or d’être transformé en ornement ?
L’ornement prend la couleur et la beauté de l’or ; l’or n’est pas enrichi. De même, la réalité
exprimée dans l’action rend l’action signifiante et belle.
V : Qu’est-ce que le réel gagne à travers ses expressions ?
N.M : Qu’est-ce qu’il peut gagner ? Rien du tout. Mais il est dans la nature de l’amour de
s’exprimer, de s’affirmer, de surmonter les difficultés. Lorsque vous aurez compris que le
monde est l’amour en action, vous le regarderez tout à fait différemment. Mais il faut
d’abord que votre attitude face à la souffrance change. La souffrance est d’abord un appel
à l’attention, qui est elle-même un mouvement d’amour. Plus que le bonheur, l’amour veut
la croissance, l’élargissement et l’approfondissement de la conscience et de l’être. Tout ce
qui empêche devient cause de douleur et l’amour ne se dérobe pas à la douleur. Sattva,
l’énergie qui oeuvre pour la justice et le développement ordonné, ne doit pas être
contrariée. Lorsqu’elle est entravée, elle se retourne contre elle-même et devient
destructrice. Chaque fois que l’amour est empêché et que nous laissons la souffrance
s’étendre, la guerre devient inévitable.

Nisargadatta Maharaj
Extrait traduit pour www.meditations-avec-sri-Nisargadatta-Maharaj.com .  Version originale éditée par Maurice Frydman à partir des enregistrements en Marathi de Nisargadatta Maharaj et  publiée dans – “I am That” Acorn Press

Je suis 81 – la racine de la peur

Nisaargadatta

Nisargadatta Maharaj : D’où venez-vous ?
Visiteur : Je suis originaire des États-Unis, mais je vis surtout en
Europe. Je suis venu en Inde récemment. J’étais à Rishikesh, dans deux
ashrams. On m’a enseigné la méditation et la respiration.

N.M : Combien de temps y êtes-vous resté ?
V : Huit jours dans l’un, six jours dans l’autre. Je n’étais pas heureux là-bas et je suis
parti. Ensuite, pendant trois semaines, j’ai été avec les lamas tibétains. Mais ils étaient enfermés dans des formules et des rituels.

N.M : Et quel a été le résultat net de tout cela ?
V : Il y a eu sans aucun doute un regain d’énergie. Mais avant de partir pour Rishikesh,
j’ai fait un jeûne et un régime dans un sanatorium de Nature Cure à Pudukkotai, dans le
sud de l’Inde. Cela m’a fait énormément de bien.
N.M : Peut-être que l’accès à plus d’énergie était dû à une meilleure santé.
V: Je ne peux pas le dire. Mais à la suite de toutes ces tentatives, des feux ont
commencé à brûler en divers endroits de mon corps et j’ai entendu des chants et des
voix là où il n’y en avait pas.
N.M : Et que cherchez-vous maintenant ?
V : Que cherchons-nous tous ? Une certaine vérité, une certitude intérieure, un vrai
bonheur. Dans les différentes écoles de réalisation de soi, on parle tellement de la
présence de la présence que l’on finit par avoir l’impression que la présence elle-même
est la réalité suprême. En est-il ainsi ? Le corps est pris en charge par le cerveau, le
cerveau est illuminé par la conscience ; la présence veille sur la conscience ; y a-t-il
quelque chose au-delà de la présence ?
N.M : Comment savez-vous que vous êtes ?
V : Je sens que je le suis. Je ne peux pas l’exprimer autrement.
N.M : Lorsque l’on suit attentivement le processus, du cerveau à présence, en passant par la
conscience, on constate que le sentiment de dualité persiste. Lorsque vous allez au-delà de la conscience, il y a un état de non-dualité, dans lequel il n’y a pas de cognition, mais seulement être à l’état pur, que l’on peut aussi bien appeler non-être, si l’on entend être par être quelque chose.
V : Ce que vous appelez l’être pur est-il l’être universel, le fait d’être tout ?
N.M : Tout implique un ensemble de particularités. Dans l’être pur, l’idée même du
particulier est absente.
V : Existe-t-il une relation entre l’être pur et l’être particulier ?
N.M : Quel rapport peut-il y avoir entre ce qui est et ce qui semble être ? Y a-t-il une
relation entre l’océan et ses vagues ? Le réel permet à l’irréel d’apparaître et le fait
disparaître.
La succession d’instants éphémères crée l’illusion du temps, mais la réalité intemporelle
de l’être pur n’est pas en mouvement, car tout mouvement nécessite un arrière-plan
immobile. Elle est elle-même l’arrière-plan. Une fois que vous l’avez trouvé en vous-même,
vous savez que vous n’avez jamais perdu cet être indépendant, non dépendant de
toutes les divisions et séparations. Mais ne la cherchez pas dans la conscience, vous ne
la trouverez pas là. Ne le cherchez nulle part, car rien ne le contient. Au contraire, il
contient tout et manifeste tout. Elle est comme la lumière du jour qui rend tout visible tout
en restant elle-même invisible.
V : Monsieur, à quoi me sert-il que vous me disiez que la réalité ne se trouve pas dans
la conscience ? Où dois-je la chercher ailleurs ? Comment l’appréhendez-vous ?
N.M : C’est très simple. Si je vous demande quel est le goût de votre bouche, tout ce que
vous pouvez faire est de dire : ce n’est ni doux, ni amer, ni acide, ni astringent ; c’est ce
qui reste quand toutes ses saveurs ne sont pas là. De même, lorsque toutes les
distinctions et réactions ont disparu, il ne reste que la réalité, simple et stable.
V : Tout ce que je comprends, c’est que je suis en proie à une illusion sans fin. Et je ne
vois pas comment elle peut prendre fin. Si elle le pouvait, elle le ferait – depuis
longtemps. J’ai dû avoir autant d’occasions dans le passé que j’en aurai dans l’avenir.
Ce qui ne peut pas arriver ne peut pas arriver. Ou, si c’était le cas, cela ne pourrait pas
durer. L’état déplorable dans lequel nous nous trouvons après tous ces millions
d’années porte, au mieux, la promesse d’une extinction finale ou, ce qui est pire, la
menace d’une répétition sans fin et dépourvue de sens.
N.M : Quelle preuve avez-vous que votre état actuel est sans commencement ni fin ?
Comment étiez-vous avant votre naissance ? Comment serez-vous après la mort ? Et de
votre état présent, que savez-vous ? Vous ne savez même pas quel était votre état avant
de vous réveiller ce matin ? Vous ne savez que peu de choses sur votre état actuel et
vous en tirez des conclusions définitives et absolues.
Il se peut que vous ne fassiez que rêver et imaginer votre rêve d’être éternel.
V : Appeler cela un rêve ne change rien à la situation. Je répète ma question : quel espoir
reste-t-il que l’éternité derrière moi n’a pas pu réaliser ? Pourquoi mon avenir serait-il
différent de mon passé ?
N.M : Dans votre état fiévreux, vous projetez un passé et un futur et vous les prenez pour
réels. En fait, vous ne connaissez que votre moment présent. Pourquoi ne pas enquêter
sur ce qui est maintenant, au lieu de questionner le passé et le futur imaginaires ? Votre
état présent n’est ni sans commencement ni sans fin.
Il est tel un clin d’oeil. Observez attentivement d’où il vient et où il va. Vous découvrirez
bientôt la réalité intemporelle qui se cache derrière.
V : Pourquoi ne l’ai-je pas fait avant ?
N.M : Tout comme chaque vague s’affaisse dans l’océan, chaque instant retourne à sa source. La réalisation consiste à découvrir la source et à y demeurer.
V : Qui découvre ?
N.M : L’esprit découvre.
V : Trouve-t-il les réponses ?
N.M : Il constate qu’il n’a pas de questions, qu’il n’a pas besoin de réponses.
V : Naître est un fait. Mourir est un autre fait. Comment apparaissent-ils au
témoin ?

N.M : Un enfant est né ; un homme est mort – ce ne sont que des
événements dans le cours du temps.
V : Le témoin progresse-t-il ? La présence évolue-t-elle ?
N.M : Ce que l’on voit peut subir de nombreux changements lorsque la lumière de la
présence se concentre dessus, mais c’est l’objet qui change, pas la lumière. Les plantes
poussent à la lumière du soleil, mais le soleil ne pousse pas. En eux-mêmes, le corps et le
témoin sont immobiles, mais lorsqu’ils sont réunis dans le mental, ils semblent tous deux
bouger.
V : Oui, je vois que ce qui bouge et change, c’est uniquement le “je suis” ( manifestation). Le “je suis” est-il nécessaire ?
N.M : Qui en a besoin ? Il est là – maintenant. Il a eu un début et il aura une
fin.

V : Que reste-t-il lorsque le “je suis” disparaît ?
N.M : Ce qui ne va pas et ne vient pas reste. C’est le mental toujours avide qui crée des
idées de progrès et d’évolution vers la perfection. Il dérange et parle d’ordre, détruit et
cherche la sécurité.
V : Y a-t-il un progrès dans le destin, dans le karma ?
N.M : Le karma n’est qu’une réserve d’énergies non dépensées, de désirs inassouvis et de
peurs non comprises. Cette réserve est constamment réapprovisionnée par de nouveaux
désirs et de nouvelles peurs. Il n’est pas nécessaire qu’il en soit ainsi pour toujours.
Comprenez la cause profonde de vos peurs – l’éloignement de vous-même – et de vos
désirs – l’aspiration au Soi – et votre karma se dissoudra comme un rêve. Entre terre et
ciel, la vie continue. Rien n’est affecté, seuls les corps croissent et se décomposent.
V: Entre la personne et le témoin, quelle est la relation ?
N.M : Il ne peut y avoir de relation entre eux car ils ne font qu’un. Ne les séparez pas et ne
cherchez pas de relation.
V : Si le voyant et le vu ne font qu’un, comment la séparation s’est-elle produite ?
N.M : Fasciné par les noms et les formes, qui sont par nature distincts et divers, vous
distinguez ce qui est naturel et le séparez ce qui est un. Le monde est riche en diversité,
mais votre sentiment d’étrangeté et de peur est dû à une mauvaise compréhension. C’est
le corps qui est en danger, pas vous.
V : Je constate que l’anxiété biologique de base, l’instinct de fuite, prend de
nombreuses formes et déforme mes pensées et mes sentiments. Mais comment cette
anxiété est-elle née ?
N.M : C’est un état mental causé par l’idée “je suis le corps”. Il peut être supprimé par
l’idée contraire : “Je ne suis pas le corps”. Les deux idées sont fausses, mais l’une
supprime l’autre. Réalisez qu’aucune idée ne vous appartient en propre, elles vous
viennent toutes de l’extérieur. Vous devez y réfléchir par vous-même, devenir vous-même
l’objet de votre méditation. L’effort pour se comprendre soi-même est le yoga.
Soyez un yogi, donnez-y votre vie, ruminez, interrogez-vous, cherchez, jusqu’à ce que
vous arriviez à la racine de l’erreur et à la vérité au-delà de l’erreur.
V : Dans la méditation, qui médite, la personne ou le témoin ?
N.M : La méditation est une tentative délibérée de pénétrer dans les états supérieurs de la
conscience et finalement de les dépasser. L’art de la méditation est l’art de déplacer le
centre d’attention vers des niveaux de plus en plus subtils, sans perdre de vue les niveaux
laissés en arrière. D’une certaine manière, c’est comme si l’on maîtrisait la mort. On
commence par les niveaux les plus bas : les circonstances sociales, les coutumes et les
habitudes ; l’environnement physique, la posture et la respiration du corps ; les sens, les
sensations, les pensées et les sentiments, jusqu’à ce que l’ensemble du mécanisme de la
personnalité soit saisi et fermement maintenu.
Le stade final de la méditation est atteint lorsque le sens de l’identité va au-delà du “je suis untel”, du “je suis untel”, du “je suis le seul témoin”, du “il y a”, de toutes les idées, jusqu’à l’être pur au delà du personnel et de l’impersonnel.
Mais vous devez être enthousiaste lorsque vous vous mettez à la méditation. Il ne s’agit
certainement pas d’une activité à temps partiel.
Limitez vos intérêts et vos activités à ce qui est nécessaire pour vous et les personnes
à votre charge. Conservez toute votre énergie et tout votre temps pour briser le mur
que votre esprit a érigé autour de vous. Croyez-moi, vous ne le regretterez pas.
V : Comment puis-je savoir que mon expérience est universelle ?
N.M : A la fin de votre méditation, tout est connu directement, aucune preuve n’est
nécessaire. De même que chaque goutte de l’océan porte le goût de l’océan, de même
chaque instant porte le goût de l’éternité.
Les définitions et les descriptions ont leur place en tant qu’incitations utiles à une
recherche plus approfondie, mais il faut aller au-delà, vers ce qui est indéfinissable et
indescriptible, sauf en termes négatifs.
Après tout, même l’universalité et l’éternité ne sont que des concepts, les opposés de la localisation et du temps. La réalité n’est pas un concept, ni la manifestation d’un concept. Elle n’a rien à voir avec les concepts. Occupez-vous de votre mental, éliminez ses distorsions et ses impuretés.
Une fois que vous aurez goûté à votre propre nature, vous la trouverez partout et à tout
moment. C’est pourquoi il est si important que vous y accédiez. Une fois que vous la
connaissez, vous ne la perdrez jamais.
Mais vous devez vous en donner la possibilité par une méditation intensive, voire
ardue.

V : Que voulez-vous que je fasse exactement ?
N.M : Donnez votre coeur et votre esprit à la contemplation du ” je suis “, ce qu’il est,
comment il est, quelle est sa source, sa vie, sa signification. C’est un peu comme
creuser un puits. Vous rejetez tout ce qui n’est pas de l’eau, jusqu’à ce que vous
atteigniez la source vivifiante.
V : Comment puis-je savoir si j’avance dans la bonne direction ?
N.M : Par vos progrès en matière d’intention, de clarté et de dévouement à la tâche.
V : Nous, Européens, avons beaucoup de mal à nous taire. Nous sommes trop impliqué dans le monde
N.M : Oh, non, vous êtes aussi des rêveurs. Nous ne différons que par le contenu de nos
rêves. Vous recherchez la perfection – dans le futur. Nous avons l’intention de la
trouver – dans le présent. Seul le limité est perfectible. L’illimité est déjà parfait. Vous
êtes parfaits, mais vous ne le savez pas.
Apprenez à vous connaître et vous découvrirez des merveilles.
Tout ce dont vous avez besoin est déjà en vous, mais vous devez vous approcher de
vous-même avec respect et amour. L’auto-condamnation et la méfiance sont de graves
erreurs. Votre fuite constante de la douleur et votre recherche du plaisir sont un signe de
l’amour que vous portez à votre personne ; tout ce que je vous demande, c’est de rendre
cet amour parfait. Ne vous refusez rien, donnez-vous l’infini et l’éternité et découvrez que
vous n’en avez pas besoin, vous êtes au-delà.

Nisargadatta Maharaj
Extrait traduit pour www.meditations-avec-sri-Nisargadatta-Maharaj.com .  Version originale éditée par Maurice Frydman à partir des enregistrements en Marathi de Nisargadatta Maharaj et  publiée dans – “I am That” Acorn Press

Je Suis 80 – La présence


Visiteur : Faut-il du temps pour réaliser le Soi, ou le temps ne contribue pas à la réalisation ? La réalisation du Soi est-elle une question de temps seulement, ou dépend-elle
de facteurs autres que le temps ?
Nisargadatta Maharaj : Toute attente est futile. Compter sur le temps pour résoudre nos problèmes est une illusion. L’avenir, laissé à lui-même, ne fait que répéter le passé. Le changement ne peut se produire que maintenant, jamais dans le futur.
V : Qu’est-ce qui provoque un changement ?
N.M : Avec une clarté cristalline, voir le nécessaire besoin de changement. C’est tout.
V : La réalisation du Soi se produit-elle dans la matière, ou au-delà ? N’est-ce pas une
expérience qui dépend du corps et de l’esprit ?
N.M : Toute expérience est illusoire, limitée et temporelle. N’attendez rien de l’expérience.
La réalisation en elle-même n’est pas une expérience, bien qu’elle puisse conduire à
une nouvelle dimension d’expériences. Cependant, les nouvelles expériences, aussi
intéressantes soient-elles, ne sont pas plus réelles que les anciennes. Définitivement, la
réalisation n’est pas une nouvelle expérience. C’est la découverte du facteur intemporel
dans chaque expérience. C’est la présence qui rend l’expérience possible. Tout comme
la lumière est le facteur incolore de toutes les couleurs, la présence est présente au
coeur de chaque expérience, mais ce n’est pas une expérience.
V : Si la présence n’est pas une expérience, comment peut-elle être réalisée ?
N.M : La présence est toujours là. Il n’est pas nécessaire de s’en rendre compte. Ouvrez
les volets de votre mental et il sera inondé de lumière.
V : Qu’est-ce que la matière ?
N.M : Ce qui est inaccessible à votre
compréhension , est la matière.

V : La science comprend la matière.
N.M : La science ne fait que repousser les frontières de notre ignorance.

V : Et qu’est-ce que la nature ?
N.M : La totalité des expériences conscientes est la nature. En tant que moi conscient, vous
faites partie de la nature. En tant que présence, vous êtes au-delà. Voir la nature comme
simplement la conscience, est pure présence.

V : Existe-t-il des niveaux de présence ?
N.M : Il y a des niveaux dans la conscience, mais pas dans la présence. Elle est d’un seul
bloc, homogène. Son reflet dans le mental est l’amour et la compréhension. Il y a des
niveaux de clarté dans la compréhension et d’intensité dans l’amour, mais pas dans leur
source. La source est simple et unique, mais ses dons sont infinis. Seulement, ne
prenez pas les cadeaux pour la source. Réalisez que vous êtes la source et non la
rivière ; c’est tout.
V : Je suis aussi la rivière.
N.M : Bien sûr, vous l’êtes. En tant que “je suis”, vous êtes la rivière qui coule entre les rives
du corps. Mais vous êtes aussi la source, l’océan et les nuages dans le ciel. Partout où il
y a de la vie et de la conscience, vous êtes là. Plus petit que le plus petit, plus grand que
le plus grand, vous êtes, alors que tout le reste apparaît.
V : Le sens de l’être et le sens de la vie sont-ils identiques ou différents ?

N.M : L’identité dans l’espace crée l’un, la continuité dans le temps crée l’autre.
V : Vous avez dit un jour que le voyant, le vu et la vision sont une seule et même chose,
et non trois. Pour moi, les trois sont séparés. Je ne doute pas de vos paroles, mais je ne
les comprends pas.
N.M : Regardez bien et vous verrez que le voyant et le vu n’apparaissent que lorsqu’il y a
vision. Ce sont des attributs de la vision. Lorsque vous dites “je vois ceci”, “je suis” et
“ceci” apparaissent avec la vision, pas avant. Le “je suis” et le “ceci” apparaissent avec la
vision, pas avant. Il ne peut y avoir de “ceci” invisible ni de “je suis” invisible.
V : Je peux dire : “Je ne vois pas”.
N.M : Le ” je vois ceci ” est devenu ” je vois mon non-voir “, ou ” je vois l’obscurité “. La
vision demeure. Dans cette trinité : le connu, le connaissant et le connaisseur, seul la
connaissance est un fait. Le “je suis” et le “ceci” sont incertains. Qui connaît ? Qu’est-ce
qui est connu ? Il n’y a pas de certitude, si ce n’est qu’il y a connaissance.
V : Pourquoi suis-je sûr de connaître, mais pas du connaisseur ?
N.M : La connaissance est un reflet de votre vraie nature, au même titre que l’être et
l’amour. Le connaisseur et le connu sont ajoutés par le mental. Il est dans la nature du
mental de créer une dualité sujet-objet, là où il n’y en a pas.
V : Quelle est la cause du désir et de la peur ?
N.M : Évidemment, la mémoire des douleurs et des plaisirs passés. Il n’y a pas de grand
mystère à ce sujet. Le conflit n’apparaît que lorsque le désir et la peur se réfèrent au même
objet.
V : Comment mettre fin à la mémoire ?
N.M : Ce n’est ni nécessaire, ni possible. Réalisez que tout se passe dans la conscience et
que vous êtes la racine, la source, le fondement de la conscience. Le monde n’est qu’une
succession d’expériences et vous êtes ce qui les rend conscientes, tout en restant au-delà
de toute expérience. C’est comme le feu, la flamme et le bois qui brûle. Le feu
entretient la flamme, la flamme consume le bois. Sans feu, il n’y aurait ni flamme ni
combustible. De même, sans la présence, il n’y aurait ni conscience, ni vie, qui transforme
la matière en véhicule de la conscience.
V : Vous affirmez que sans moi, il n’y aurait pas de monde et que le monde et ma
connaissance du monde sont identiques. La science est parvenue à une conclusion tout à
fait différente : le monde existe comme quelque chose de concret et de continu, tandis
que je suis un sous-produit de l’évolution biologique du système nerveux, qui n’est pas
tant le siège de la conscience qu’un mécanisme de survie de l’individu et de l’espèce.
Votre point de vue est tout à fait subjectif, alors que la science tente de tout décrire en
termes objectifs. Cette contradiction est-elle inévitable ?

N.M : La confusion est apparente et purement verbale. Ce qui est, est. Ce n’est ni subjectif ni objectif. La matière et l’esprit ne
sont pas séparés, ce sont des aspects d’une même énergie. Considérez le mental comme
une fonction de la matière et vous avez la science ; considérez la matière comme le
produit du mental et vous avez la spiritualité.
V : Mais qu’est-ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui est premier, l’esprit ou la matière ?
N.M : Ni l’un ni l’autre ne vient en premier, car aucun n’apparaît seul. La matière est la forme,
l’esprit est le nom. Ensemble, ils forment le monde. L’omniprésence et la transcendance sont la Réalité, l’être pur – la présence – la félicité, votre essence même.
V : Tout ce que je connais, c’est le flux de la conscience, une succession sans fin
d’événements. Le fleuve du temps coule, apportant et emportant sans relâche. La
transformation du futur en passé se poursuit en permanence.
N.M : N’êtes-vous pas victime de votre langage ? Vous parlez de l’écoulement du temps,
comme si vous étiez immobile. Mais les événements dont vous avez été témoin hier,
quelqu’un d’autre les verra peut-être demain. C’est vous qui êtes en mouvement et
non le temps. Cessez de bouger et le temps cessera. Q : Qu’est-ce que cela signifie –
le temps cessera ?
N.M : Le passé et le futur se fondront dans l’éternel maintenant.
V : Mais qu’est-ce que cela signifie dans l’expérience réelle ? Comment savez-vous que
pour vous le temps a cessé ?
N.M : Cela peut signifier que le passé et le futur n’ont plus d’importance. Cela peut aussi
signifier que tout ce qui s’est passé et se passera devient un livre ouvert que l’on peut
lire à volonté.
V : Je peux imaginer une sorte de mémoire cosmique, accessible avec un peu
d’entraînement. Mais comment connaître l’avenir ? L’inattendu est inévitable.
N.M : Ce qui est inattendu à un certain niveau peut être certain de se produire, vu d’un
niveau plus élevé. Après tout, nous sommes dans les limites du mental. En réalité,
rien ne se passe, il n’y a ni passé ni futur ; tout apparaît et rien n’est.
V : Que signifie “rien n’est” ? Devenez-vous blanc, ou vous endormez-vous ? Ou bien
dissolvez-vous le monde et nous gardez-vous tous en suspens, jusqu’à ce que nous
soyons ramenés à la vie à la prochaine lueur de votre pensée ?
N.M : Oh, non, ce n’est pas si terrible. Le monde du mental et de la matière, des noms et des
formes, continue, mais cela n’a aucune importance pour moi. C’est comme avoir une
ombre. Elle est là, elle me suit où que j’aille, mais elle ne me gêne en rien. Cela reste un
monde d’expériences, mais pas de noms et de formes liés à mes désirs et à mes peurs.
Les expériences sont sans qualité, des expériences pures, si je puis dire. Je les appelle
expériences pour les raisons suivantes faute de mieux.
Ils sont comme les vagues à la surface de l’océan, omniprésents, mais n’affectant pas sa
puissance paisible.
V : Vous voulez dire qu’une expérience peut être sans nom, sans forme, sans définition ?
N.M : Au début, toute expérience est telle. Ce sont seulement le désir et la peur, nés de la
mémoire, qui lui donnent un nom et une forme et la séparent des autres expériences.
Ce n’est pas une expérience consciente, car elle ne contraste pas avec d’autres expériences,
mais c’est tout de même une expérience.
V : Si ce n’est pas conscient, pourquoi en parler ?
N.M : La plupart de vos expériences sont inconscientes. Les expériences conscientes sont très peu nombreuses. Vous n’en êtes pas conscient car pour vous seules les expériences
conscientes comptent. Prenez conscience de l’inconscient.
V : Peut-on être conscient de l’inconscient ? Comment cela se fait-il ?
N.M : Le désir et la peur sont des facteurs d’obscurcissement et de distorsion. Lorsque l’esprit en est libéré, l’inconscient devient accessible.
V : Cela signifie-t-il que l’inconscient devient conscient ?
N.M : C’est plutôt l’inverse. Le conscient ne fait qu’un avec l’inconscient. La distinction cesse,
quelle que soit la manière dont on l’envisage.
V : Je suis perplexe. Comment peut-on être à la fois conscient et inconscient ?
N.M : La présence ne se limite pas à la conscience. Elle concerne tout ce qui est. La
conscience est une dualité. Il n’y a pas de dualité dans la présence. C’est un seul bloc de
connaissance pure. De la même manière, on peut parler de l’être pur et de la création pure sans nom, sans forme, silencieux et pourtant absolument réels, puissants, efficaces. Le
fait qu’ils soient indescriptibles ne les affecte en rien. Bien qu’ils soient inconscients, ils
sont essentiels. Le conscient ne peut pas changer fondamentalement, il ne peut que
modifier. Toute chose, pour changer, doit passer par la mort, par l’obscurcissement et la
dissolution. Les bijoux en or doivent être fondus avant d’être coulés dans une autre forme.
Ce qui refuse de mourir ne peut renaître.
V : En dehors de la mort du corps, comment meurt-on ?
N.M : Le retrait, la distanciation, le lâcher-prise, c’est la mort. Pour vivre pleinement, la
mort est essentielle ; chaque fin est un nouveau commencement.
D’autre part, sachez que seuls les morts peuvent mourir, pas les vivants. Ce qui est vivant
en vous est immortel.
V : D’où le désir tire-t-il son énergie ?
N.M : Son nom et sa forme sont tirés de la mémoire. L’énergie coule de la source.
V : Certains désirs sont tout à fait erronés. Comment des désirs erronés peuvent-ils
découler d’une source sublime ?

N.M : La source n’est ni bonne ni mauvaise. Le désir en lui-même n’est pas non plus bon ou mauvais. Il n’est rien d’autre que la recherche du bonheur. Après vous être identifié à un grain de sable, vous vous sentez perdu et vous recherchez désespérément ce sentiment de plénitude et de complétude que vous appelez le bonheur.
V : Quand l’ai-je perdue ? Je ne l’ai jamais eu.
N;M : Vous l’aviez déjà avant de vous réveiller ce matin. Allez au-delà de votre conscience et
vous le trouverez

.V : Comment puis-je aller au-delà ?

N.M : Vous le savez déjà, faites-le.
V : C’est ce que vous dites. Je n’en sais rien.
N.M : Pourtant, je le répète, vous le savez. Faites-le. Allez au-delà, revenez à votre état
normal, naturel, suprême.
V : Je suis perplexe.
N.M : Une tache dans l’oeil vous fait croire que vous êtes aveugle. Lavez-le et regardez.
V : Je regarde ! Je ne vois que des ténèbres.
N.M : Enlevez la tache et vos yeux seront inondés de lumière. La lumière est là – elle attend.
Les yeux sont là – prêts. L’obscurité que vous voyez n’est que l’ombre de la petite tache.
Débarrassez-vous-en et revenez à votre état naturel.

Nisargadatta Maharaj
Extrait traduit pour www.meditations-avec-sri-Nisargadatta-Maharaj.com .  Version originale éditée par Maurice Frydman à partir des enregistrements en Marathi de Nisargadatta Maharaj et  publiée dans – “I am That” Acorn Press

Je suis 79 – La personne, le témoin, le Suprême

personne, témoin, suprême

Visiteur : Nous avons une longue histoire de consommation de drogues,
principalement des drogues qui élargissent la conscience. Elles nous ont donné
l’expérience d’autres états de conscience, hauts et bas, et aussi la conviction que les
drogues ne sont pas fiables et qu’elles sont, au mieux, transitoires et, au pire, destructrices
de l’organisme et de la personnalité. Nous sommes à la recherche de meilleurs moyens
pour développer la conscience et la transcendance. Nous voulons que les fruits de notre
recherche nous soient acquis et enrichissent notre vie, au lieu de se transformer en pâles
souvenirs et en regrets impuissants.
Si l’on entend par “spirituel” la recherche et le développement de soi, l’objectif de notre
venue en Inde est assurément spirituel. Le stade du hippie heureux est derrière nous ;
nous sommes maintenant sérieux et en questionnement. Nous savons qu’il y a une réalité à
trouver, mais nous ne savons pas comment la trouver et nous y accrocher. Nous n’avons
pas besoin d’être convaincus, seulement d’être guidés. Pouvez-vous nous aider ?

Nisargadatta Maharaj : Vous n’avez pas besoin d’aide, seulement de conseils. Ce que vous cherchez est déjà en vous. Prenez mon propre cas. Je n’ai rien fait pour me réaliser. Mon Maître m’a dit que la réalité était en moi ; j’ai regardé à l’intérieur et je l’ai trouvée là, exactement comme mon Maître me l’avait dit. Voir la réalité est aussi simple que de contempler son visage dans un miroir. Seul le miroir doit être clair et vrai. Pour refléter la réalité, il faut un esprit calme, non déformé par les désirs et les peurs, libre d’idées et d’opinions, clair à tous les niveaux. Soyez clair et tranquille – alerte et détaché, tout le reste se fera de lui-même.
V : Vous avez dû faire en sorte que votre esprit soit clair et tranquille avant de pouvoir
réaliser la vérité. Comment avez-vous procédé ?
N.M : Je n’ai rien fait. C’est arrivé comme ça. J’ai vécu ma vie en m’occupant des besoins
de ma famille. Mon Guru ne l’a pas fait non plus. C’est arrivé, comme il l’a dit.
V : Les choses ne se produisent pas par hasard. Il doit y avoir une cause à tout.
N.M : Tout ce qui arrive est la cause de tout ce qui arrive. Les causes sont innombrables ;
l’idée d’une cause unique est une illusion.
V : Vous avez dû faire quelque chose de spécifique – de la méditation ou du yoga.
Comment pouvez-vous dire que la réalisation se fera d’elle-même ?
N.M : Rien de particulier. J’ai simplement vécu ma vie.

V : Je suis stupéfait !
N.M : Moi aussi. Mais qu’y a-t-il à s’étonner ? Les paroles de mon Maître se sont réalisées. Et
alors ? Il me connaissait mieux que je ne me connaissais moi-même, c’est tout. Pourquoi
chercher des causes ? Au tout début, j’accordais un peu d’attention et de temps au sens
“Je suis”, mais seulement au début. Peu après la mort de mon Guru, j’ai continué à vivre.
Ses paroles se sont avérées vraies. C’est tout. Il s’agit d’un seul et même processus. Vous
avez tendance à séparer les choses dans le temps et à en chercher les causes.
V : Quel est votre travail actuel ? Que faites-vous ?
N.M : Vous imaginez qu’être et faire sont identiques. Ce n’est pas le cas. L’esprit et le corps
se déplacent et changent et entraînent d’autres esprits et d’autres corps à se déplacer et
à changer, et c’est ce que l’on appelle faire, agir. Je vois qu’il est dans la nature de
l’action de créer d’autres actions, comme le feu qui perdure en brûlant. Je n’agis pas et je
ne fais pas agir les autres ; je suis intemporellement conscient de ce qui se passe.

V : Dans votre conscience, ou aussi dans les autres consciences ?
N.M : Il n’y a qu’un seul mental, qui fourmille d’idées : ” Je suis ceci, je suis cela, ceci est
à moi, cela est à moi “. Je ne suis pas le mental, je ne l’ai jamais été et je ne le serai
jamais.
V : Comment le mental est-il apparu ?
N.M : Le monde est constitué de matière, d’énergie et d’intelligence. Ils se manifestent de
multiples façons. Le désir et l’imagination créent le monde et l’intelligence réconcilie les
deux et provoque un sentiment d’harmonie et de paix. Pour moi, tout se passe, j’en suis
conscient, mais je n’en suis pas affecté.
V : On ne peut pas être à la fois conscient et non affecté. Il y a une contradiction dans les
termes. La perception est un changement. Une fois que vous avez éprouvé une sensation,
la mémoire ne vous permet pas de revenir à l’état antérieur.
N.M : Oui, ce qui est ajouté à la mémoire ne peut pas être effacé facilement. Mais on peut
sûrement le faire et, en fait, je le fais tout le temps. Comme un oiseau qui vole, je ne laisse
pas d’empreintes.
V : Le témoin a-t-il un nom et une forme, ou est-ce plus que cela ?
N.M : Le témoin n’est qu’un point dans la présence. Il n’a ni nom ni forme. C’est comme le
reflet du soleil dans une goutte de rosée. La goutte de rosée a un nom et une forme, mais
pas le point lumineux est causé par le soleil. La clarté et la douceur de la goutte sont une
condition nécessaire mais pas suffisante en soi. De même, la clarté et le silence de l’esprit
sont nécessaires pour que le reflet de la réalité apparaisse dans l’esprit, mais elles ne sont
pas suffisantes en elles-mêmes.La réalité au-delà. La réalité étant présente de manière intemporelle, l’accent est mis sur les conditions nécessaires.
V : Peut-il arriver que l’esprit soit clair et tranquille et qu’aucune réflexion n’apparaisse ?
N.M : la destinée doit être prise en compte. L’inconscient est sous l’emprise du destin ; c’est
le destin, en fait. Il se peut que l’on doive attendre. Mais aussi lourde que soit la main du
destin, elle peut être soulevée par la patience et la confiance en Soi. L’intégrité et la
pureté éliminent les obstacles et la vision de la réalité apparaît dans l’esprit.
V : Comment peut-on acquérir une confiance en Soi ? Je suis si faible d’esprit !
N.M : Comprenez d’abord que vous n’êtes pas la personne que vous croyez être. Ce que
vous pensez être n’est que suggestion ou imagination. Vous n’avez pas de parents, vous
n’êtes pas né et vous ne mourrez pas non plus. Soit vous faites confiance dans mes
paroles, soit vous y accédez par l’étude et l’investigation. La voie de la foi totale est rapide,
l’autre est lente mais constante. Les deux doivent être testés dans l’action. Agissez en
fonction de ce que vous pensez être vrai – c’est le chemin de la vérité.
V : Le fait de mériter la vérité et le destin sont-ils une seule et même chose ?
N.M : Oui, les deux sont dans l’inconscient. Le mérite conscient n’est que vanité. La
conscience est toujours faite d’obstacles ; quand il n’y a pas d’obstacles, on va au-delà.
V : Le fait de comprendre que je ne suis pas le corps me donnera-t-il la force de
caractère nécessaire à la connaissance du Soi ?
N.M : Lorsque vous saurez que vous n’êtes ni le corps ni le mental, vous ne vous laisserez
pas influencer par eux. Vous suivrez la vérité, où qu’elle vous mène, et ferez ce qui doit
être fait, quel que soit le prix à payer.
V : L’action est-elle essentielle à la réalisation du Soi ?
N.M : Pour la réalisation, la compréhension est essentielle. L’action n’est qu’accessoire.
Un homme à la compréhension solide ne s’abstiendra pas d’agir pour autant. L’action est le test de la vérité.
V : Des tests sont-ils nécessaires ?
N.M : Si vous ne vous mettez pas constamment à l’épreuve, vous ne pourrez pas faire la
distinction entre la réalité et la fantaisie. L’observation et le raisonnement étroit aident dans
une certaine mesure, mais la réalité est paradoxale. Comment savez-vous où vous en êtes
de cette réalisation,si vous n’observez pas vos pensées et vos sentiments, vos paroles et
vos actions et si vous ne vous étonnez pas des changements qui se produisent en vous
sans que vous sachiez pourquoi et comment ? C’est justement parce qu’ils sont si
surprenants que vous savez qu’ils sont réels. Ce qui est prévu et attendu est rarement
vrai.
V : Comment la personne naît-elle ?
N.M : Exactement comme une ombre apparaît lorsque la lumière est interceptée par le
corps, la personne apparaît lorsque la pure conscience de Soi est obstruée par l’idée du “
je suis le corps “. Et comme l’ombre change de forme et de position en fonction de la
configuration du terrain, la personne apparaît pour se réjouir et souffrir, se reposer et
peiner, trouver et perdre selon le modèle de la destinée. Lorsque le corps n’est plus, la
personne disparaît complètement sans retour, seul le témoin demeure et le Grand
Inconnu.
Le témoin est celui qui dit “je sais”. La personne dit “je fais”. Or, dire “je sais” n’est pas
faux, c’est simplement limité. Mais dire “je fais” est tout à fait faux, car il n’y a personne
qui fait ; tout se passe tout seul, y compris l’idée d’être un ‘faiseur’.
V : Qu’est-ce que l’action ?
N.M : L’univers est plein d’action, mais il n’y a pas d’acteur. Il y a d’innombrables personnes,
petites, grandes et très grandes, qui, par identification, s’imaginent agir, mais cela ne
change rien au fait que le monde de l’action (mahadakash) est un tout unique dans lequel
tout dépend de tout et affecte tout. Les étoiles nous affectent profondément et nous
affectons les étoiles. Reculer de l’action à la conscience, laisser l’action au corps et à
l’esprit, c’est leur domaine.
Demeurez un pur témoin, jusqu’à ce que même le témoignage se dissolve dans le Suprême.
Imaginez une jungle épaisse remplie de gros bois. Une planche est façonnée dans le
bois et un petit crayon est utilisé pour écrire dessus. Le témoin lit l’écriture et sait que si
le crayon et la planche ont un rapport lointain avec la jungle, l’écriture n’a rien à voir avec
elle. Elle est totalement superposée et sa disparition n’a aucune importance. La
dissolution de la personnalité est toujours suivie d’un sentiment de grand soulagement,
comme si un lourd fardeau était tombé.
V : Quand vous dites, je suis dans l’état au-delà du témoin, quelle est l’expérience qui
vous fait dire cela ? En quoi diffère-t-elle de l’état de simple témoin ?
N.M : C’est comme laver un tissu imprimé. D’abord le dessin s’efface, puis le fond et à la
fin le tissu est blanc. La personnalité cède la place au témoin, puis le témoin disparaît
et la présence pure demeure.
Le tissu était blanc au début et l’est toujours à la fin ; les motifs et les couleurs sont
apparus – pour un temps.
V : Peut-il y avoir une présence sans objet de présence ?
N.M : La présence d’un objet est appelée témoignage. Lorsqu’il y a aussi une auto identification à l’objet, causée par le désir ou la peur, cet état est appelé une personne. En
réalité, il n’y a qu’un seul état ; lorsqu’il est déformé par l’auto-identification, on l’appelle
une personne ; lorsqu’il est coloré par le sens de l’être, c’est le témoin ; lorsqu’il est
incolore et illimité, on l’appelle le Suprême.
V : Je constate que je suis toujours agité, que j’ai envie, que j’espère, que je cherche, que
je trouve, que j’apprécie, que j’abandonne, que je cherche à nouveau. Qu’est-ce qui me
tient en haleine ?
N.M : Vous êtes vraiment à la recherche de vous-même, sans le savoir. Vous vous languissez d’amour pour trouver ce qui est digne d’amour, ce qui est parfaitement aimable. Par ignorance, vous le cherchez dans le monde des oppositions et des contradictions. Lorsque vous l’aurez trouvé en vous, votre recherche sera terminée.

V : Il y aura toujours ce monde triste à affronter.
N.M : N’anticipez pas. Vous ne savez pas. Il est vrai que toute manifestation est dans les
opposés. Le plaisir et la douleur, le bien et le mal, le haut et le bas, le progrès et la
régression, le repos et la lutte – tout cela va et vient – et tant qu’il y aura un monde, ses
contradictions seront là. Il peut aussi y avoir des périodes d’harmonie parfaite, de bonheur
et de beauté, mais seulement pour un temps. Ce qui est parfait retourne à la source de
toute perfection et les contraires continuent à jouer.
V : Comment puis-je atteindre la perfection ?
N.M : Taisez-vous. Faites votre travail dans le monde, mais gardez le silence intérieurement. Alors tout viendra à vous. Ne comptez pas sur votre travail pour vous réaliser. Il peut profiter à d’autres, mais pas à vous. Votre espoir réside dans le fait de garder le silence dans votre esprit et dans votre coeur. Les personnes réalisées sont très silencieuses.

Nisargadatta Maharaj
Extrait traduit pour www.meditations-avec-sri-Nisargadatta-Maharaj.com .  Version originale éditée par Maurice Frydman à partir des enregistrements en Marathi de Nisargadatta Maharaj et  publiée dans – “I am That” Acorn Press

Je Suis 78 – toute connaissance est ignorance

connaissance, ignorance, silence


Visiteur : Sommes-nous autorisés à vous demander de nous dire comment vous êtes vous réalisé ?

Nisargadatta Maharaj : D’une certaine façon, ce fut très simple et facile dans mon
cas. Mon Guru, avant de mourir, m’a dit : Crois-moi, tu es la réalité suprême. Ne doute pas
de mes paroles, ne sois pas incrédule. Je te dis la vérité – agis en conséquence. Je n’ai pas
pu oublier ses paroles et c’est en n’oubliant pas que j’ai réalisé ma véritable nature.
V : Mais que faisiez-vous en réalité ?
N.M : Rien de spécial. J’ai vécu ma vie, j’ai exercé mon métier, je me suis occupée de ma
famille, et chaque moment libre, je le passais à me remémorer mon Guru et ses paroles.
Il est mort peu de temps après et je n’avais plus que ce rappel à l’esprit. C’était suffisant.
V : Cela a dû être l’effet de la grâce et du pouvoir de votre Guru.
N.M : Ses paroles étaient vraies et elles se sont donc réalisées. Les paroles vraies se
réalisent toujours. Mon Guru n’a rien fait ; ses paroles ont agi parce qu’elles étaient vraies.
Tout ce que j’ai fait est venu de l’intérieur, sans que cela me soit demandé et sans que cela soit attendu.
V : Le Guru a commencé un processus sans y prendre part ?
N.M : Formulez cela comme vous le souhaitez. Les choses arrivent comme elles arrivent. Qui peut dire pourquoi et comment ? Je n’ai rien fait délibérément. Tout est venu tout
seul – le désir de lâcher prise, d’être seul, d’aller à l’intérieur.

V : Vous n’avez fait aucun effort ?
N.M : Aucun. Croyez-le ou non, je n’étais même pas impatient de réaliser. Il m’a seulement
dit que j’étais le Suprême et il est parti. Je ne pouvais pas ne pas le croire. Le reste s’est
fait tout seul. Je me suis trouvé en train de changer, c’est tout. En fait, j’étais étonné. Mais
j’ai eu envie de vérifier ses paroles. J’étais tellement sûr qu’il ne pouvait pas avoir menti
que j’ai pensé que je devais comprendre le sens de ses paroles ou mourir. Je me sentais
très déterminée, mais je ne savais pas quoi faire. Je passais des heures à penser à lui et
à son assurance, sans discuter, mais en me rappelant simplement ce qu’il m’avait dit.
V : Que vous est-il arrivé alors ? Comment avez-vous su que vous étiez le Suprême ?
N.M : Personne n’est venu me le dire. Il n’y a pas non plus eu de message intérieurement. En fait, ce n’est qu’au début, lorsque je faisais des efforts, que j’ai vécu des expériences étranges : voir des lumières, entendre des voix, rencontrer des dieux et des déesses et converser avec eux. Une fois que le Guru m’a dit : “Tu es la réalité suprême”, j’ai cessé d’avoir des visions et des transes et je suis devenu très calme et très simple.
Je me suis retrouvé à désirer et à savoir de moins en moins, jusqu’à ce que je puisse dire
avec un étonnement total : “Je ne sais rien, je ne veux rien”.
V : Étiez-vous véritablement libre de tout désir et de toute connaissance, ou vous faisiez -vous passer pour un Jnani selon l’image que vous avait donnée votre Guru ?
N.M : On ne m’a pas donné d’image, et je n’en avais pas non plus. Mon Guru ne m’a
jamais dit à quoi m’attendre.

V : Il peut vous arriver d’autres choses. Êtes-vous à la fin de votre voyage ?
N.M : Il n’y a jamais eu de voyage. Je suis, comme j’ai toujours été.
V : Quelle était la réalité suprême que vous deviez atteindre ?
N.M : J’ai été illusioné, c’est tout. J’avais l’habitude de créer un monde et de le peupler –
maintenant je ne le fais plus.
V : Où habitez-vous donc ?
N.M : Dans le vide, au-delà de l’être et du non-être, au-delà de la conscience. Ce vide est
aussi plénitude, ne me plaignez pas. C’est comme un homme qui dit : “J’ai fait mon travail,
il n’y a plus rien à faire”.
V : Vous donnez une certaine date à votre réalisation. Cela signifie que quelque chose
vous est arrivé à cette date. Qu’est-ce qui s’est passé ?
N.M : L’esprit a cessé de produire des événements. L’ancienne et incessante recherche s’est
arrêtée – je ne voulais rien, je n’attendais rien – je n’acceptais rien comme mien. Il n’y avait
plus de “moi” à rechercher. Même le simple “je suis” s’est évanoui. L’autre chose que j’ai
remarquée, c’est que j’ai perdu toutes mes certitudes habituelles. Auparavant, j’étais sûr
de beaucoup de choses, maintenant je ne suis plus sûr de rien. Mais je n’ai rien perdu en ne sachant pas, car toutes mes connaissances étaient fausses. Le fait de ne pas savoir était en soi la connaissance du fait que tout savoir est ignorance, que “je ne sais pas” est la seule affirmation vraie que l’esprit puisse faire.
Prenons l’idée “Je suis né”. Vous pouvez la considérer comme vraie. Ce n’est pas le cas.
Vous n’êtes jamais né et vous ne mourrez jamais. C’est l’idée qui est née et qui mourra,
pas vous. En vous identifiant à elle, vous êtes devenu mortel. Tout comme
Dans une salle de cinéma, tout est lumière, la conscience devient le vaste monde.
Regardez bien, et vous verrez que tous les noms et toutes les formes ne sont que des
vagues transitoires sur l’océan de la conscience, que seule la conscience peut être
affirmée comme réelle, et non ses transformations.
Dans l’immensité de la conscience apparaît une lumière, un point minuscule qui se
déplace rapidement et trace des formes, des pensées et des sentiments, des concepts et
des idées, comme la plume qui écrit sur le papier. Et l’encre qui laisse une trace, c’est la
mémoire. Vous êtes ce point minuscule et, par votre mouvement, le monde est toujours
recréé. Cessez de bouger et le monde n’existera plus. Regardez à l’intérieur de vous et
vous découvrirez que le point de lumière est le reflet de l’immensité de la lumière dans le
corps, comme le sens “je suis”.
Il n’y a que la lumière, tout le reste apparaît.
V : Connaissez-vous cette lumière ? L’avez-vous vue ?
N.M : Pour l’esprit, elle apparaît comme une obscurité. Elle ne peut être connue que par ses
reflets. Tout est vu à la lumière du jour – sauf la lumière du jour elle-même.
V : Dois-je comprendre que nos esprits sont similaires ?
N.M : Comment est-ce possible ? Vous avez votre propre esprit, tissé de souvenirs, maintenu par des désirs et des peurs. Je n’ai pas de mental propre ; ce que j’ai besoin de savoir, l’univers me l’apporte, comme il me fournit la nourriture que je mange.
V : Savez-vous tout ce que vous voulez savoir ?
N.M : Il n’y a rien que je veuille savoir. Mais ce que j’ai besoin de savoir,
j’arrive à le savoir.

V : Cette connaissance vous vient-elle de l’intérieur ou de
l’extérieur ?
N.M : Cela ne s’applique pas. Mon intérieur est à l’extérieur et mon extérieur est à l’intérieur.
Je peux obtenir de vous la connaissance dont j’ai besoin à ce moment-là, mais vous n’êtes
pas séparé de moi.
V : Qu’est-ce que turiya, le quatrième état dont nous entendons parler ?
N.M : Être le point de lumière qui trace le monde, c’est turiya. Être la lumière elle-même
est turiyatita. Mais à quoi servent les noms quand la réalité est si proche ?
V : Votre état progresse-t-il ? Lorsque vous vous comparez hier à aujourd’hui, constatezvous
que vous changez, que vous progressez ? Votre vision de la réalité s’élargit-elle et
s’approfondit-elle ?
N.M : La réalité est immuable et pourtant en mouvement constant. Elle est comme une
rivière puissante – elle coule et pourtant elle est là – éternellement. Ce qui coule n’est pas
le fleuve avec son lit et ses rives, mais son eau, de même que le guna sattva, l’harmonie
universelle, joue ses jeux contre tamas et rajas, les forces de l’obscurité et du désespoir.
Dans sattva, il y a toujours changement et progrès, dans rajas, il y a changement et
régression, tandis que tamas est synonyme de chaos. Les trois gunas jouent
éternellement l’un contre l’autre – c’est un fait et il ne peut y avoir de querelle avec un fait.
V : Dois-je toujours être terne avec tamas et désespéré avec rajas ? Qu’en est-il de sattva ?
N.M : Sattva est le rayonnement de votre vraie nature. Vous pouvez toujours la trouver au-delà du mental et de ses nombreux mondes. Mais si vous voulez un monde, vous devez
accepter les trois gunas comme inséparables – la matière – l’énergie – la vie – une seule
essence, distincte en apparence. Ils se mélangent et s’écoulent – dans la conscience.
Dans le temps et l’espace, il y a un flux éternel, la naissance et la mort à nouveau,
l’avancée, le recul, une autre avancée, à nouveau le recul – apparemment sans
commencement ni fin ; la réalité étant intemporelle, sans changement, sans corps, la
conscience sans pensée est la félicité.
V : Je comprends que, selon vous, tout est un état de conscience. Le monde est plein de
choses – un grain de sable est une chose, une planète est une chose. Quel est leur
rapport avec la conscience ?
N.M : Là où la conscience n’arrive pas, la matière commence : Une chose est une forme
d’être que nous n’avons pas comprise. Elle ne change pas – elle est toujours la même – elle
semble être là par elle-même – quelque chose d’étrange et d’étranger. Bien sûr, elle se
trouve dans le chit, la conscience, mais elle semble être à l’extérieur en raison de son
apparente immuabilité. Le fondement des choses se trouve dans la mémoire – sans
mémoire, il n’y aurait pas de reconnaissance. Création – réflexion – élimination : Brahma –
Vishnu – Shiva : tel est le processus éternel. Toutes les choses sont régies par ce
processus.
V : N’y a-t-il pas d’échappatoire ?
N.M : Je ne fais rien d’autre que de montrer la fuite. Comprenez que l’Un inclut le Trois et
que vous êtes l’Un, et vous serez libéré du processus du monde.
V : Qu’advient-il alors de ma conscience ?
N.M : Après le stade de la création, vient le stade de l’examen et de la réflexion et, enfin, le
stade de l’abandon et de l’oubli. La conscience demeure, mais à l’état latent, tranquille.
V : L’état d’identité demeure-t-il ?
N.M : L’état d’identité est inhérent à la réalité et ne s’estompe jamais. Mais l’identité n’est ni
la personnalité éphémère (vyakti), ni l’individualité liée au karma (vyakta).
La conscience pure, le sentiment d’être tout ce qu’il y a, ou ce qu’il pourrait y avoir, demeure
lorsque toute identification à soi est abandonnée comme fausse. La conscience est pure
au début et pure à la fin ; entre les deux, elle est contaminée par l’imagination, qui est à
l’origine de la création. À tout moment, la conscience reste la même. La connaître telle
qu’elle est, c’est la réalisation et la paix intemporelle.
V : Le sentiment “Je suis” est-il réel ou irréel ?
N.M : Les deux. Il est irréel de dire : “Je suis ceci, je suis cela”. Il est réel lorsque nous
disons : “Je ne suis ni ceci, ni cela”.
Le connaisseur va et vient avec le connu et est éphémère ; mais ce qui sait qu’il ne sait
pas, qui est libre de mémoire et d’anticipation, est intemporel.
V : Le “je suis” est-il lui-même le témoin, ou sont-ils séparés ?
N.M : Sans l’un, l’autre ne peut exister. Pourtant, ils ne sont pas identiques. C’est comme la
fleur et sa couleur. Sans fleur, pas de couleur ; sans couleur, la fleur reste invisible. Au-delà,
c’est la lumière qui, au contact de la fleur, crée la couleur. Réalisez que votre
véritable nature est celle de la lumière pure, et que le perçu et le percepteur vont et
viennent ensemble. Ce qui rend les deux possibles, et qui pourtant n’est ni l’un ni l’autre,
est votre être réel, ce qui signifie ne pas être un “ceci” ou un “cela”, mais la pure présence
de la conscience de l’être et du non-être. Lorsque la présence est tournée vers elle-même,
elle a le sentiment de ne pas savoir. Lorsqu’elle est tournée vers l’extérieur, les choses
connaissables apparaissent. Dire : “Je me connais” est une contradiction dans les termes,
car ce qui est “connu” ne peut pas être “moi-même”.
V : Si le Soi est à jamais l’inconnu, qu’est-ce qui est réalisé dans la réalisation du Soi ?
N.M : Savoir que le connu ne peut être ni moi ni mien est une libération suffisante. La
liberté de s’identifier à un ensemble de souvenirs et d’habitudes, l’état
d’émerveillement devant les limites infinies de l’être, sa créativité inépuisable et sa
transcendance totale, l’intrépidité absolue née de la prise de conscience de l’illusoire et
de l’éphémère de tout mode de vie, sont autant d’éléments qui permettent de se libérer
de la peur.
La conscience – découlent d’une source profonde et inépuisable. Connaître la source en
tant que source, l’apparence en tant qu’apparence et soi-même en tant que source
unique, c’est la réalisation du Soi.
V : De quel côté se trouve le témoin ? Est-il réel ou irréel ?
N.M : Personne ne peut dire : “Je suis le témoin”. Le “je suis” est toujours témoin. L’état de
présence détachée est la conscience-témoin, l’esprit-miroir. Il s’élève et s’abaisse avec
son objet et n’est donc pas tout à fait le réel. Quel que soit son objet, il reste le même, et
il est donc également réel. Il participe à la fois du réel et de l’irréel et constitue donc un
pont entre les deux.
V : Si tout n’arrive qu’au “je suis”, si le “je suis” est le connu, le connaisseur et la
connaissance elle-même, que fait le témoin ? À quoi sert-il ?
N.M : Il ne fait rien et n’est d’aucune utilité.

V :Alors pourquoi en parler ?
N.M : Parce qu’il est là. Le pont ne sert qu’à une seule chose : traverser. On ne construit pas
de maisons sur un pont. Le “je suis” regarde les choses, le témoin voit à travers elles. Il
les voit telles qu’elles sont – irréelles et éphémères. Dire “pas moi, pas à moi” est la tâche
du témoin.
V : Est-ce le manifesté (saguna) qui représente le non-manifesté (nirguna) ?

N.M : Le non-manifesté n’est pas représenté. Rien de manifesté ne peut représenter le non-manifesté.
V : Alors pourquoi en parlez-vous
N.M : Parce que c’est le lieu de ma Genèse .

Nisargadatta Maharaj
Extrait traduit pour www.meditations-avec-sri-Nisargadatta-Maharaj.com .  Version originale éditée par Maurice Frydman à partir des enregistrements en Marathi de Nisargadatta Maharaj et  publiée dans – “I am That” Acorn Press