Visiteur: la connaissance est présente dans chaque forme animée par la vie mais elle n’apparaît dans la matière que reflétée par un principe conscient limité. Cela devrait être le contraire!
Nisargadatta Maharaj: Tout ce que vous pourrez dire sera certainement très logique au niveau corps-intellect, pourtant ce n’est que lorsque votre notion d’être se sera nettoyée, complètement débarrassée de cet état corps-intellect, qu’elle deviendra universelle. L’Être est la source d’où ont surgit les cinq éléments, les trois Gunas, suivis de la végétation et du royaume animal.
Visiteur: Le prana, la force vitale, est présente dans les végétaux. Y a-t-il également une conscience dans la plante?
Nisargadatta Maharaj: Tout ce qui est visible et perceptible dans l’espace est créé par la conscience et imprégné par elle. Cette création toute entière finira par se fondre dans l’espace. Du point de vue du corps chaque forme constitue une entité séparée, mais au niveau de la conscience, elles ne sont que manifestation de conscience et non séparées.
Au fur et à mesure de vos progrès spirituels vous découvrirez que l’unique source de l’univers est votre conscience. Il vous est actuellement impossible de percevoir cela parce que vous demeurez prisonnier des griffes de l’intelligence rationnelle. Tout ce qu’il vous est possible d’amasser aujourd’hui relève de votre identité au corps et il s’agit d’un savoir erroné. Lorsque vous posséderez le savoir concernant ” ce que vous êtes”, vous verrez clairement que le monde et l’univers résident dans cette miette de conscience qui est vôtre. A ce stade vous aurez transcendé le sentiment d’être un corps pensant, tandis qu’aujourd’hui tout ce que vous êtes capables de comprendre se trouve limité, parce que prenant appui sur une conviction fausse.
Lorsque vous percevez le monde intérieur à l’extérieur, vous le baptisez “rêve”. Mais ce monde est-il différent perçu à l’intérieur? Ce qui est perçu à l’intérieur est contenu dans le sentiment “Je suis” au sein de la conscience. Le m^me processus se reproduit exactement dan l’état de veille.
Votre conscience, le sentiment d’être “présent”, est la gousse, la coque à l’intérieur de laquelle se déploie le monde de la veille et du sommeil. Voilà l’état des choses, mais cela aussi vous l’acceptez au travers du corps! Tout ce que vous enregistrez zqt mesuré au mètre faussé de votre intelligence et vous ne pouvez rien distinguer au -delà.. Le visible est un produit de l’espace et quand tout le visible a disparu, l’espace demeure. Quand votre monde surgit de cet espace et se concrétise, pour votre commodité vous lui attribuez des noms variés vous permettant de poursuivre vos activités quotidiennes, mais en fait aucun de ces noms n’a de réalité. Cette création est permanente, éternelle et ne possède aucune forme ou individualité valide. Tout ce qui est, est simplement manifestation au delà de toute connaissance. Percevoir, savoir, n’est possible qu’au moyen des sens limités. Le manifesté qui transcende les sens humains ne peut pas être connu. Parvenir à comprendre cela exige la pratique du “Jnana-yoga”, c’est-à-dire le “je ” se laissant absorber par lui-même. le Jnana- yoga” signifie chercher, interroger. Comment cette prèsence à “je suis” se produit-elle?”
Découvrir que ce sentiment ” Je suis” et ‘l’univers” ne font qu’un est l’aboutissement du Jnana -Yoga, la connaissance”je suis” s’enfonce, sombre en elle-même. Seulement voilà. Comme vous voulez conserver intacte cette personnalité pensante, ça ne marche jamais!
Quand le sentiment d’être apparaît il n’a aucunement l’impression d’être un corps! C’est de ce sentiment d’être qu’est créé le cosmos tout entier. Au sein de cette création vous disposez également d’une forme, mais vous n’avez nu l besoin de vous identifier à elle entant qu’entité fonctionnant et se déplaçant indépendamment dans le monde. Le principe qui anime et propulse le corps et uniquement cet être, cela ne provient pas du corps. Ce grand spectacle cosmique se déroule dans la conscience et à la fin tout se dissoudra dans cette seule conscience. Méditez là-dessus sans vous identifier au corps et vous, conscience découvrirez que vous soumettre à cette identité de forme humaine est l’action de Maya, l’illusion.
Cette conscience est donc la graine, le principe germinatif du cosmos tout entier comprenant force vitale dynamique, Gunas, qualité d’être, et prana. La conscience possède la faculté de ressentir que “vous êtes”. À son apparition, la conscience est libre de toute identification. Mais bien qu’il s’agisse simplement du principe universel de manifestation, son identification au corps lui fait éprouver plaisir et souffrance? La conscience se connaît seulement au travers d’elle-même. Bien rare est celui qui découvre que cette manifestation toute entière jaillit de ce qui est “lui-même”.
Le “je” s’absorbant en lui-même est un état sans nom et sans forme, c’est le plus haut niveau de la spiritualité. la sensation d’avoir une personnalité et des besoins est ressentie comme primordiale, antérieure à tous les yogas, mais après avoir pratiqué le Jnana yoga vous vous découvrirez au delà de tous besoins, au delà de toute individualité. Les experts du Kundalini- yoga se complaisent dans les visions et les pouvoirs obtenus par leur ascèse, mais il ne leur est pas possible d’expliquer la source de l’énergie Kundalini!
Visiteur: Je suis bien d’accord, il faut atteindre le niveau le plus haut, mais vous avez précisé que cette êtreté jaillit spontanément du niveau élevé. À notre niveau corps-intellect nous sommes donc au seuil d’un mystère total!
NIsargadatta Maharaj : Qu’est-ce qui vous incite à parler de niveaux … à vouloir atteindre le plus haut niveau? Le niveau n’est qu’un concept. c’est à la suite de la séparation avec le haut qu’apparaît le principe premier “je suis” et après lui tous les autres concepts. La séparation veut dire dualité, altérité.
Visiteur: Je croyais vous avoir entendu dire qu’au niveau ultime il régnait une indifférentiation totale. Existe-t-il en core un sentiment ” Je suis”?
Nisargadatta Maharaj: De la non-connaissance apparait la connaissance, cette connaissance doit être découverte. Lorsque nous parlons il nous faut rechercher d’où naît ce langage. Il jaillit à partir du sentiment ” je suis”, mais quelle est la source de ” Je suis”? Ici en fait je ne parle pas. Quand la parole se prononce intuitivement on peut dire qu’elle s’exprime toute seule. L’événement initial est de se rappeler ” Je suis”, de ce rappel coule le langage. Donc, quel est ce “Je suis”…?
Dans ce rappel intital ” je suis”, ne l’oubliez pas, existe votre corps et le cosmos tout entier. Toutes les formes sont créées et nourries e par l’essence de la matière, mais l’évidence de son être est la quintessence Sattva-Guna du corps. Qui éprouve cet être et d’où vient-il? il faut patiemment chercher au fond de soi jusqu’à ce qu’on trouve. Quand c’est fait, lorsque vous vous êtes nécessairement fixé sur le constat “je suis”, se produit une surprenante révélation. Vous découvrirez que du sein de ce grain d’être initial s projette la totalité de l’univers, votre corps inclus.
Ce principe suprême et omnipotent, sans corps et sans forme, s’accroche à ce corps qui lui fait éprouver “je suis” et instantanément il adopte cette fausse identité corporelle. il se cramponne à cette forme avec une telle rapidité qu’il se différencie, et l’existence indépendante et libre devient alors difficilement perceptible.
l’essence de l’être, qui est ce bourdonnement intérieur ” je suis”, est la condition préliminaire indispensable à tout fonctionnement du corps. Ce sentiment devient confus lorsque a personne est malade et elle ne réagit plus lorsqu’on lui fait signe ou qu’on l’appelle.
Visiteur: Devrait-on dormir le plus souvent possible afin de faire l’expérience du “je suis”, au moment du réveil?
Nisargadatta Maharaj : Ce contact avec “je suis” n’est pas une expérience ou une découverte effectuée avec le corps pensant. C’est ce “je suis” qui permet au corps et aux sens de fonctionner et de faire l’expérience de ce qui l’entoure.
Nisargadatta Maharaj
Extrait de l’entretien du 10 février 1980 du recueil “Ni Ceci Ni Cela” aux éditions des 2 Océans.