Je Suis 83 – Le véritable Guru

Visiteur : Vous disiez l’autre jour qu’à l’origine de votre réalisation, il y avait la
confiance en votre guru. Il vous a assuré que vous étiez déjà la réalité absolue et qu’il
n’y avait plus rien à faire. Vous lui avez fait confiance et vous en êtes resté là, sans effort.
Ma question est la suivante : sans la confiance en votre guru, auriez-vous réalisé votre
véritable nature ? Après tout, ce que vous êtes, vous l’êtes, que votre esprit ait confiance ou non ; ou bien le doute entraverait-il l’action des paroles du Guru et les rendrait-il inopérantes ?
Nisargardatta Maharaj : Vous l’avez dit, elles auraient été rendues inopérantes, pour un temps.
V : Et qu’arriverait-il à l’énergie, ou au pouvoir des mots du Guru ?
N.M : Elle resterait latente, non manifestée. Mais toute cette question repose sur un
malentendu. Le maître, le disciple, l’amour et la confiance entre eux, tout cela constitue un
seul fait, et non pas plusieurs faits indépendants. Chacun fait partie de l’autre. Sans
l’amour et la confiance, il n’y aurait eu ni guru, ni disciple, ni relation entre eux. C’est
comme appuyer sur un interrupteur pour allumer une lampe électrique. C’est parce que la
lampe, le câblage, l’interrupteur, le transformateur, les lignes de transmission et la centrale
électrique forment un tout unique que vous obtenez la lumière. Si l’un de ces facteurs
manquait, il n’y aurait pas de lumière. Il ne faut pas séparer ce qui est inséparable. Les
mots ne créent pas les faits ; ils les décrivent ou les déforment. Le fait est toujours non
verbal.
V : Je ne comprends toujours pas ; la parole du Guru peut-elle rester inaccomplie ou
s’avérera-t-elle invariablement vraie ?
N.M : Les paroles d’un homme réalisé ne manquent jamais leur but. Elles attendent que les
bonnes conditions se présentent, ce qui peut prendre un certain temps, et c’est naturel,
car il y a une saison pour semer et une saison pour récolter. Mais la parole d’un guru est
une semence qui ne peut pas périr. Bien sûr, le guru doit être authentique Guru, au-delà
du corps et de l’esprit, au-delà de la conscience elle-même, au-delà de l’espace et du
temps, au-delà de la dualité et de l’unité, au-delà de la compréhension et de la description.
Les bonnes gens, qui ont beaucoup lu et ont beaucoup à dire, peuvent vous enseigner
beaucoup de choses utiles, mais ils ne sont pas les vrais guru-s dont les paroles se
réalisent invariablement. Ils peuvent aussi vous dire que vous êtes la réalité ultime elle-même, mais qu’en est-il ?
V : Néanmoins, si pour une raison quelconque je leur fais confiance et que j’obéis, seraije
perdant ?

N.M : Si vous êtes capable de faire confiance et d’obéir, vous trouverez bientôt
votre vrai guru, ou plutôt, c’est lui qui vous trouvera.
V : Est-ce que tout connaisseur du Soi devient un guru, ou peut-on être un connaisseur
de la Réalité sans être capable d’y amener les autres ?
N.M : Si vous savez ce que vous enseignez, vous pouvez enseigner ce que vous savez.
Ici, le rôle de voyant et le rôle d’enseignant ne font qu’un. Mais la réalité absolue est au-delà
des deux. Les gurus autoproclamés parlent de maturité et d’effort, de mérites et de
réalisations, de destin et de grâce ; tout cela ne sont que des formations mentales, des
projections d’un mental dépendant. Au lieu d’aider, elles font obstacle.
V : Comment savoir qui suivre et à qui se méfier ?
N.M : Méfiez-vous de tout, jusqu’à ce que vous soyez convaincu. Le véritable guru ne vous
humiliera jamais, pas plus qu’il ne vous éloignera de vous-même. Il vous ramènera
constamment au fait de votre perfection inhérente et vous encouragera à chercher en
vous. Il sait que vous n’avez besoin de rien, pas même de lui, et ne se lasse pas de vous
le rappeler. Mais le guru autoproclamé se préoccupe davantage de lui-même que de ses
disciples.
V : Vous avez dit que la réalité est au-delà de la connaissance et de l’enseignement du
réel. La connaissance du réel n’est-elle pas le suprême lui-même et l’enseignement la
preuve de sa réalisation ?
N.M : La connaissance du réel, ou du Soi, est un état d’esprit. Enseigner à un autre
est un mouvement dans la dualité. Ils ne concernent que le mental ; sattva est
tout de même un guna.

V : Qu’est-ce qui est réel alors ?
N.M : Celui qui connaît le mental comme non réalisé et réalisé, qui connaît l’ignorance et la
connaissance comme des états du mental, celui-là est le authentique. Lorsqu’on vous
donne des diamants mélangés à du gravier, vous pouvez soit manquer les diamants, soit
les trouver. Ce qui compte, c’est de percevoir. Où sont la grisaille du gravier et la beauté
du diamant, sans le pouvoir de la vision ? Le connu n’est qu’une forme et la
connaissance n’est qu’un nom. Le connaisseur n’est qu’un état d’esprit. Le réel est au-delà.
V : Il est certain que la connaissance objective et les idées sur les choses et la
connaissance du Soi ne sont pas une seule et même chose.
L’un a besoin d’un cerveau, l’autre non.
N.M : Pour les besoins de la discussion, vous pouvez arranger les mots et leur donner un
sens, mais il n’en reste pas moins que toute connaissance est une forme d’ignorance.
La carte la plus précise n’est encore que du papier. Toute connaissance est dans la
mémoire, elle n’est que reconnaissance, alors que la réalité est au-delà de la dualité du
connaissant et du connu.
V : Alors par quoi la réalité est-elle connue ?
N.M : Comme votre langage est trompeur ! Vous supposez, inconsciemment, que la réalité
est également accessible par la connaissance. Et alors, vous ferez intervenir un
connaisseur de la réalité au-delà de la réalité ! Comprenez bien que pour être, la réalité
n’a pas besoin d’être connue. L’ignorance et la connaissance sont dans l’esprit, pas dans
le réel.
V : Si la connaissance du réel n’existe pas, comment puis-je l’atteindre ?
N.M : Vous n’avez pas besoin de tendre la main vers ce qui est déjà en vous. Le fait même
de tendre la main fait que vous le manquez. Abandonnez l’idée que vous ne l’avez pas
trouvé et laissez-le venir dans le foyer de la perception directe, ici et maintenant, en
enlevant tout ce qui est du mental.
V : Lorsque tout ce qui peut disparaître disparaît, que reste-t-il ?
N.M : Le vide demeure, la présence demeure, la pure lumière de l’être conscient demeure.
C’est comme si l’on demandait ce qu’il reste d’une pièce lorsque tous les meubles ont été
enlevés. Il reste une pièce très fonctionnelle. Et lorsque même les murs sont abattus, l’espace demeure. Au-delà de l’espace et du temps, il y a l’ici et le maintenant de la réalité.
V : Le témoin reste-t-il ?
N.M : Tant qu’il y a une conscience, son témoin est également présent. Les deux
apparaissent et disparaissent ensemble.
V : Si le témoin est lui aussi éphémère, pourquoi lui accorde-t-on tant d’importance ?
N.M : Juste pour rompre le charme du connu, l’illusion que seul le perceptible est
réel.

V : La perception est primaire, le témoin est secondaire.
N.M : C’est le coeur du problème. Tant que vous croyez que seul le monde extérieur est réel,
vous en restez l’esclave. Pour devenir libre, votre attention doit être attirée par le “je suis”,
le témoin. Bien sûr, le connaisseur et le connu sont un et non deux, mais pour rompre le
charme du connu, le connaisseur doit être mis au premier plan. Ni l’un ni l’autre ne sont
primaires, les deux sont des reflets dans la mémoire de l’expérience ineffable, toujours
nouvelle et toujours actuelle, intraduisible, plus rapide que l’esprit.
V : Monsieur, je suis un humble chercheur, errant de guru en guru à la recherche de la
libération. Mon esprit est malade, brûlant de désir, gelé par la peur. Mes jours défilent,
rouges de douleur, gris d’ennui. Mon âge avance, ma santé se dégrade, mon avenir est
sombre et effrayant. À ce rythme, je vivrai dans le chagrin et mourrai dans le désespoir.
Y a-t-il encore un espoir pour moi ? Ou suis-je arrivé trop tard ?
N.M : Il n’y a rien qui aille mal chez vous, mais l’idée que vous vous faites de vous-même
est tout à fait erronée. Ce n’est pas vous qui désirez, craignez et souffrez, c’est la
personne construite sur les fondations de votre corps par les circonstances et les
influences. Vous n’êtes pas cette personne. Cela doit être clairement établi dans votre
esprit et ne jamais être perdu de vue. En général, cela nécessite une sadhana
prolongée, des années d’austérité et de méditation.
V : Mon esprit est faible et vacillant. Je n’ai ni la force ni la ténacité pour la
sadhana. Mon cas est donc désespéré.
N.M : D’une certaine manière, votre cas est plein d’espoir. Il y a une alternative à la
sadhana, c’est la confiance. Si vous ne pouvez pas avoir la conviction née d’une
recherche fructueuse, alors profitez de ma découverte, que je suis si désireux de partager
avec vous. Je vois avec la plus grande clarté que vous n’avez jamais été, ni n’êtes, ni ne
serez jamais coupé de la réalité, que vous êtes la plénitude de la perfection ici et
maintenant et que rien ne peut vous priver de votre héritage, de ce que vous êtes. Vous
n’êtes en rien différent de moi, seulement vous ne le savez pas. Vous ne savez pas ce
que vous êtes et vous vous imaginez donc être ce que vous n’êtes pas. D’où les désirs, la
peur et le désespoir accablant. Et des activités dénuées de sens pour s’échapper.
Faites-moi confiance et vivez dans cette confiance. Je ne vous induirai pas en erreur.
Vous êtes la Réalité suprême, au-delà du monde et de son créateur, au-delà de la
conscience et de son témoin, au-delà de toutes les affirmations et de tous les démentis.
Souvenez-vous-en, pensez-y, agissez en conséquence. Abandonnez tout sentiment de
séparation, voyez vous en tout et agissez en conséquence. La félicité viendra avec l’action
et, avec la félicité, la conviction. Après tout, vous doutez de vous-même parce que vous
êtes dans le chagrin. Le bonheur, naturel, spontané et durable ne peut être imaginé. Soit il
est là, soit il n’est pas là. Lorsque vous commencerez à faire l’expérience de la paix, de
l’amour et du bonheur qui n’ont pas besoin de causes extérieures, tous vos doutes se
dissiperont.
Saisissez ce que je vous ai dit et vivez en conséquence.

V : Vous me dites de vivre en fonction de la mémoire ?
N.M : Vous vivez de toute façon par la mémoire. Je vous demande simplement de
remplacer les vieux souvenirs par le souvenir de ce que je vous ai dit. Comme vous
agissiez en fonction de vos anciennes mémoires, agissez en fonction de la nouvelle.
N’ayez pas peur. Pendant un certain temps, il y aura forcément un conflit entre l’ancien et
le nouveau, mais si vous vous placez résolument du côté du nouveau, le conflit ne tardera
pas à s’apaiser.
Vous vous rendrez compte de l’état sans effort d’être Soi, de ne pas être trompé par les
désirs et les peurs nés de l’illusion.
V : De nombreux gurus ont l’habitude de donner des gages de leur grâce – leur couvre-chef,
ou leurs bâtons, ou leur bol de mendicité, ou leur robe, transmettant ou confirmant
ainsi la réalisation du Soi de leurs disciples. Je ne vois pas l’intérêt de telles pratiques. Ce
n’est pas la réalisation du Soi qui est transmise, mais l’importance de soi. À quoi cela
sert-il de se faire dire quelque chose de très flatteur, mais qui n’est pas vrai ? D’une part,
vous me mettez en garde contre les nombreux gurus qui se prétendent tels et, d’autre
part, vous voulez que je vous fasse confiance. Pourquoi prétendez-vous être une
exception ?
N.M : Je ne vous demande pas de me faire confiance. Faites confiance à mes paroles et
souvenez-vous-en, je veux votre bonheur, pas le mien. Méfiez-vous de ceux qui mettent
une distance entre vous et votre être véritable et qui se proposent comme intermédiaire.
Je ne fais rien de tel. Je ne fais même pas de promesses. Je dis simplement : si vous
faites confiance à mes paroles et les mettez à l’épreuve, vous découvrirez par vous-même
à quel point elles sont vraies. Si vous demandez une preuve avant de vous
lancer, je ne peux que vous répondre : Je suis la preuve. J’ai fait confiance aux paroles
de mon maaître, je les ai gardées à l’esprit et j’ai découvert qu’il avait raison, que
j’étais, que je suis et que je serai la Réalité Infinie, qui englobe tout, qui transcende tout.
Comme vous le dites, vous n’avez ni le temps ni l’énergie pour de longues pratiques. Je
vous propose une alternative. Acceptez mes paroles en toute confiance et vivez à
nouveau, ou vivez et mourez dans le chagrin.
V : Cela semble trop beau pour être vrai.
N.M : Ne vous laissez pas tromper par la simplicité du conseil. Rares sont ceux qui ont le
courage de faire confiance à l’innocence et à la simplicité. Savoir que l’on est prisonnier
de son esprit, que l’on vit dans un monde imaginaire créé par soi-même est l’aube de la
sagesse. Ne rien vouloir de ce dernier, être prêt à l’abandonner complètement.
Seul ce sincérité, né d’un véritable désespoir, vous permettra de me faire confiance.
V: N’ai-je pas assez souffert ?
N.M : La souffrance vous a rendu aveugle, incapable d’en voir la grandeur. Votre première
tâche est de voir le chagrin en vous et autour de vous ; la suivante est de désirer
intensément la libération. L’intensité même de ce désir vous guidera ; vous n’avez
besoin d’aucun autre guide.
V : La souffrance m’a rendu terne, indifférent même à elle-même.
N.M : Peut-être que ce n’est pas le chagrin mais le plaisir qui vous a rendu abruti. Investiguez cela.
V : Quelle qu’en soit la cause, je suis apathique. Je n’ai ni volonté ni énergie.
N.M : Oh, non. Vous en avez assez pour la première étape. Et chaque étape génère assez
d’énergie pour la suivante. L’énergie vient avec la confiance et la confiance vient avec
l’expérience.
V : Est-il normal de changer de guru ?
N.M : Pourquoi ne pas changer ? Les gurus sont comme des jalons. Il est naturel de
passer de l’un à l’autre. Chacun vous indique la direction et la distance, tandis que le
Sadguru, le Guru éternel, est la route elle-même. Une fois que vous réalisez que la route
est le but et que vous êtes toujours sur la route, non pas pour atteindre un but, mais pour
profiter de sa beauté et de sa sagesse, la vie cesse d’être une tâche et devient naturelle
et simple, en soi une extase.
V : Il n’est donc pas nécessaire d’adorer, de prier, de pratiquer le yoga ?
N.M : Un peu de nettoyage, de toilette et de bain quotidien ne peut pas faire de mal. La
présence du Soi vous indique à chaque étape ce qu’il faut faire. Lorsque tout est fait, le
mental demeure tranquille.
Vous êtes maintenant à l’état de veille, une personne avec un nom et une forme, des
joies et des peines. Cette personne n’existait pas avant votre naissance et n’existera
pas non plus après votre mort. Au lieu de lutter avec la personne pour qu’elle devienne
ce qu’elle n’est pas, pourquoi ne pas dépasser l’état de veille et quitter complètement la
vie personnelle ? Cela ne signifie pas l’extinction de la personne ; cela signifie seulement la voir dans une juste perspective.
V : Encore une question. Vous avez dit qu’avant de naître, je ne faisais qu’un avec l’être
pur de la réalité ; si c’est le cas, qui a décidé que je devais naître ?
N.M : En réalité, vous n’êtes jamais né et ne mourrez jamais. Mais maintenant vous
imaginez que vous l’êtes, ou que vous avez un corps, et vous demandez ce qui a
provoqué cet état. Dans les limites de l’illusion, la réponse pourrait être : le désir né de la mémoire vous attire vers un corps et vous fait agir comme si vous ne faisiez qu’un avec lui. Mais cela n’est vrai que d’un point de vue relatif. En fait, il n’y a pas de corps, ni de monde pour le contenir ; il n’y a qu’un état mental, un état de rêve, facile à dissiper, en s’interrogeant sur sa réalité.
V : Après votre mort, reviendrez-vous ? Si je vis assez longtemps, je vous rencontrerai à nouveau.
N.M : Pour vous, le corps est réel, pour moi il n’y en a pas. Moi, tel que vous me voyez, je
n’existe que dans votre imagination. Vous me reverrez certainement, si et quand vous
aurez besoin de moi. Cela ne m’affecte pas : comme le soleil n’est pas affecté par les
levers et les couchers de soleil. Parce qu’il n’est pas affecté, il est certain d’être là quand
on a besoin de lui.
Vous êtes avide de connaissances, pas moi. Je n’ai pas ce sentiment d’insécurité qui
vous pousse à vouloir savoir. Je suis curieux, comme un enfant l’est. Mais aucune anxiété
ne me pousse à me réfugier dans le savoir. C’est pourquoi je ne m’inquiète pas de savoir
si je vais renaître, ou combien de temps durera le monde. Ce sont des questions qui
naissent de la peur.

Nisargadatta Maharaj
Extrait traduit pour www.meditations-avec-sri-Nisargadatta-Maharaj.com .  Version originale éditée par Maurice Frydman à partir des enregistrements en Marathi de Nisargadatta Maharaj et  publiée dans – “I am That” Acorn Press

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