Je suis 79 – La personne, le témoin, le Suprême

Visiteur : Nous avons une longue histoire de consommation de drogues,
principalement des drogues qui élargissent la conscience. Elles nous ont donné
l’expérience d’autres états de conscience, hauts et bas, et aussi la conviction que les
drogues ne sont pas fiables et qu’elles sont, au mieux, transitoires et, au pire, destructrices
de l’organisme et de la personnalité. Nous sommes à la recherche de meilleurs moyens
pour développer la conscience et la transcendance. Nous voulons que les fruits de notre
recherche nous soient acquis et enrichissent notre vie, au lieu de se transformer en pâles
souvenirs et en regrets impuissants.
Si l’on entend par “spirituel” la recherche et le développement de soi, l’objectif de notre
venue en Inde est assurément spirituel. Le stade du hippie heureux est derrière nous ;
nous sommes maintenant sérieux et en questionnement. Nous savons qu’il y a une réalité à
trouver, mais nous ne savons pas comment la trouver et nous y accrocher. Nous n’avons
pas besoin d’être convaincus, seulement d’être guidés. Pouvez-vous nous aider ?

Nisargadatta Maharaj : Vous n’avez pas besoin d’aide, seulement de conseils. Ce que vous cherchez est déjà en vous. Prenez mon propre cas. Je n’ai rien fait pour me réaliser. Mon Maître m’a dit que la réalité était en moi ; j’ai regardé à l’intérieur et je l’ai trouvée là, exactement comme mon Maître me l’avait dit. Voir la réalité est aussi simple que de contempler son visage dans un miroir. Seul le miroir doit être clair et vrai. Pour refléter la réalité, il faut un esprit calme, non déformé par les désirs et les peurs, libre d’idées et d’opinions, clair à tous les niveaux. Soyez clair et tranquille – alerte et détaché, tout le reste se fera de lui-même.
V : Vous avez dû faire en sorte que votre esprit soit clair et tranquille avant de pouvoir
réaliser la vérité. Comment avez-vous procédé ?
N.M : Je n’ai rien fait. C’est arrivé comme ça. J’ai vécu ma vie en m’occupant des besoins
de ma famille. Mon Guru ne l’a pas fait non plus. C’est arrivé, comme il l’a dit.
V : Les choses ne se produisent pas par hasard. Il doit y avoir une cause à tout.
N.M : Tout ce qui arrive est la cause de tout ce qui arrive. Les causes sont innombrables ;
l’idée d’une cause unique est une illusion.
V : Vous avez dû faire quelque chose de spécifique – de la méditation ou du yoga.
Comment pouvez-vous dire que la réalisation se fera d’elle-même ?
N.M : Rien de particulier. J’ai simplement vécu ma vie.

V : Je suis stupéfait !
N.M : Moi aussi. Mais qu’y a-t-il à s’étonner ? Les paroles de mon Maître se sont réalisées. Et
alors ? Il me connaissait mieux que je ne me connaissais moi-même, c’est tout. Pourquoi
chercher des causes ? Au tout début, j’accordais un peu d’attention et de temps au sens
“Je suis”, mais seulement au début. Peu après la mort de mon Guru, j’ai continué à vivre.
Ses paroles se sont avérées vraies. C’est tout. Il s’agit d’un seul et même processus. Vous
avez tendance à séparer les choses dans le temps et à en chercher les causes.
V : Quel est votre travail actuel ? Que faites-vous ?
N.M : Vous imaginez qu’être et faire sont identiques. Ce n’est pas le cas. L’esprit et le corps
se déplacent et changent et entraînent d’autres esprits et d’autres corps à se déplacer et
à changer, et c’est ce que l’on appelle faire, agir. Je vois qu’il est dans la nature de
l’action de créer d’autres actions, comme le feu qui perdure en brûlant. Je n’agis pas et je
ne fais pas agir les autres ; je suis intemporellement conscient de ce qui se passe.

V : Dans votre conscience, ou aussi dans les autres consciences ?
N.M : Il n’y a qu’un seul mental, qui fourmille d’idées : ” Je suis ceci, je suis cela, ceci est
à moi, cela est à moi “. Je ne suis pas le mental, je ne l’ai jamais été et je ne le serai
jamais.
V : Comment le mental est-il apparu ?
N.M : Le monde est constitué de matière, d’énergie et d’intelligence. Ils se manifestent de
multiples façons. Le désir et l’imagination créent le monde et l’intelligence réconcilie les
deux et provoque un sentiment d’harmonie et de paix. Pour moi, tout se passe, j’en suis
conscient, mais je n’en suis pas affecté.
V : On ne peut pas être à la fois conscient et non affecté. Il y a une contradiction dans les
termes. La perception est un changement. Une fois que vous avez éprouvé une sensation,
la mémoire ne vous permet pas de revenir à l’état antérieur.
N.M : Oui, ce qui est ajouté à la mémoire ne peut pas être effacé facilement. Mais on peut
sûrement le faire et, en fait, je le fais tout le temps. Comme un oiseau qui vole, je ne laisse
pas d’empreintes.
V : Le témoin a-t-il un nom et une forme, ou est-ce plus que cela ?
N.M : Le témoin n’est qu’un point dans la présence. Il n’a ni nom ni forme. C’est comme le
reflet du soleil dans une goutte de rosée. La goutte de rosée a un nom et une forme, mais
pas le point lumineux est causé par le soleil. La clarté et la douceur de la goutte sont une
condition nécessaire mais pas suffisante en soi. De même, la clarté et le silence de l’esprit
sont nécessaires pour que le reflet de la réalité apparaisse dans l’esprit, mais elles ne sont
pas suffisantes en elles-mêmes.La réalité au-delà. La réalité étant présente de manière intemporelle, l’accent est mis sur les conditions nécessaires.
V : Peut-il arriver que l’esprit soit clair et tranquille et qu’aucune réflexion n’apparaisse ?
N.M : la destinée doit être prise en compte. L’inconscient est sous l’emprise du destin ; c’est
le destin, en fait. Il se peut que l’on doive attendre. Mais aussi lourde que soit la main du
destin, elle peut être soulevée par la patience et la confiance en Soi. L’intégrité et la
pureté éliminent les obstacles et la vision de la réalité apparaît dans l’esprit.
V : Comment peut-on acquérir une confiance en Soi ? Je suis si faible d’esprit !
N.M : Comprenez d’abord que vous n’êtes pas la personne que vous croyez être. Ce que
vous pensez être n’est que suggestion ou imagination. Vous n’avez pas de parents, vous
n’êtes pas né et vous ne mourrez pas non plus. Soit vous faites confiance dans mes
paroles, soit vous y accédez par l’étude et l’investigation. La voie de la foi totale est rapide,
l’autre est lente mais constante. Les deux doivent être testés dans l’action. Agissez en
fonction de ce que vous pensez être vrai – c’est le chemin de la vérité.
V : Le fait de mériter la vérité et le destin sont-ils une seule et même chose ?
N.M : Oui, les deux sont dans l’inconscient. Le mérite conscient n’est que vanité. La
conscience est toujours faite d’obstacles ; quand il n’y a pas d’obstacles, on va au-delà.
V : Le fait de comprendre que je ne suis pas le corps me donnera-t-il la force de
caractère nécessaire à la connaissance du Soi ?
N.M : Lorsque vous saurez que vous n’êtes ni le corps ni le mental, vous ne vous laisserez
pas influencer par eux. Vous suivrez la vérité, où qu’elle vous mène, et ferez ce qui doit
être fait, quel que soit le prix à payer.
V : L’action est-elle essentielle à la réalisation du Soi ?
N.M : Pour la réalisation, la compréhension est essentielle. L’action n’est qu’accessoire.
Un homme à la compréhension solide ne s’abstiendra pas d’agir pour autant. L’action est le test de la vérité.
V : Des tests sont-ils nécessaires ?
N.M : Si vous ne vous mettez pas constamment à l’épreuve, vous ne pourrez pas faire la
distinction entre la réalité et la fantaisie. L’observation et le raisonnement étroit aident dans
une certaine mesure, mais la réalité est paradoxale. Comment savez-vous où vous en êtes
de cette réalisation,si vous n’observez pas vos pensées et vos sentiments, vos paroles et
vos actions et si vous ne vous étonnez pas des changements qui se produisent en vous
sans que vous sachiez pourquoi et comment ? C’est justement parce qu’ils sont si
surprenants que vous savez qu’ils sont réels. Ce qui est prévu et attendu est rarement
vrai.
V : Comment la personne naît-elle ?
N.M : Exactement comme une ombre apparaît lorsque la lumière est interceptée par le
corps, la personne apparaît lorsque la pure conscience de Soi est obstruée par l’idée du “
je suis le corps “. Et comme l’ombre change de forme et de position en fonction de la
configuration du terrain, la personne apparaît pour se réjouir et souffrir, se reposer et
peiner, trouver et perdre selon le modèle de la destinée. Lorsque le corps n’est plus, la
personne disparaît complètement sans retour, seul le témoin demeure et le Grand
Inconnu.
Le témoin est celui qui dit “je sais”. La personne dit “je fais”. Or, dire “je sais” n’est pas
faux, c’est simplement limité. Mais dire “je fais” est tout à fait faux, car il n’y a personne
qui fait ; tout se passe tout seul, y compris l’idée d’être un ‘faiseur’.
V : Qu’est-ce que l’action ?
N.M : L’univers est plein d’action, mais il n’y a pas d’acteur. Il y a d’innombrables personnes,
petites, grandes et très grandes, qui, par identification, s’imaginent agir, mais cela ne
change rien au fait que le monde de l’action (mahadakash) est un tout unique dans lequel
tout dépend de tout et affecte tout. Les étoiles nous affectent profondément et nous
affectons les étoiles. Reculer de l’action à la conscience, laisser l’action au corps et à
l’esprit, c’est leur domaine.
Demeurez un pur témoin, jusqu’à ce que même le témoignage se dissolve dans le Suprême.
Imaginez une jungle épaisse remplie de gros bois. Une planche est façonnée dans le
bois et un petit crayon est utilisé pour écrire dessus. Le témoin lit l’écriture et sait que si
le crayon et la planche ont un rapport lointain avec la jungle, l’écriture n’a rien à voir avec
elle. Elle est totalement superposée et sa disparition n’a aucune importance. La
dissolution de la personnalité est toujours suivie d’un sentiment de grand soulagement,
comme si un lourd fardeau était tombé.
V : Quand vous dites, je suis dans l’état au-delà du témoin, quelle est l’expérience qui
vous fait dire cela ? En quoi diffère-t-elle de l’état de simple témoin ?
N.M : C’est comme laver un tissu imprimé. D’abord le dessin s’efface, puis le fond et à la
fin le tissu est blanc. La personnalité cède la place au témoin, puis le témoin disparaît
et la présence pure demeure.
Le tissu était blanc au début et l’est toujours à la fin ; les motifs et les couleurs sont
apparus – pour un temps.
V : Peut-il y avoir une présence sans objet de présence ?
N.M : La présence d’un objet est appelée témoignage. Lorsqu’il y a aussi une auto identification à l’objet, causée par le désir ou la peur, cet état est appelé une personne. En
réalité, il n’y a qu’un seul état ; lorsqu’il est déformé par l’auto-identification, on l’appelle
une personne ; lorsqu’il est coloré par le sens de l’être, c’est le témoin ; lorsqu’il est
incolore et illimité, on l’appelle le Suprême.
V : Je constate que je suis toujours agité, que j’ai envie, que j’espère, que je cherche, que
je trouve, que j’apprécie, que j’abandonne, que je cherche à nouveau. Qu’est-ce qui me
tient en haleine ?
N.M : Vous êtes vraiment à la recherche de vous-même, sans le savoir. Vous vous languissez d’amour pour trouver ce qui est digne d’amour, ce qui est parfaitement aimable. Par ignorance, vous le cherchez dans le monde des oppositions et des contradictions. Lorsque vous l’aurez trouvé en vous, votre recherche sera terminée.

V : Il y aura toujours ce monde triste à affronter.
N.M : N’anticipez pas. Vous ne savez pas. Il est vrai que toute manifestation est dans les
opposés. Le plaisir et la douleur, le bien et le mal, le haut et le bas, le progrès et la
régression, le repos et la lutte – tout cela va et vient – et tant qu’il y aura un monde, ses
contradictions seront là. Il peut aussi y avoir des périodes d’harmonie parfaite, de bonheur
et de beauté, mais seulement pour un temps. Ce qui est parfait retourne à la source de
toute perfection et les contraires continuent à jouer.
V : Comment puis-je atteindre la perfection ?
N.M : Taisez-vous. Faites votre travail dans le monde, mais gardez le silence intérieurement. Alors tout viendra à vous. Ne comptez pas sur votre travail pour vous réaliser. Il peut profiter à d’autres, mais pas à vous. Votre espoir réside dans le fait de garder le silence dans votre esprit et dans votre coeur. Les personnes réalisées sont très silencieuses.

Nisargadatta Maharaj
Extrait traduit pour www.meditations-avec-sri-Nisargadatta-Maharaj.com .  Version originale éditée par Maurice Frydman à partir des enregistrements en Marathi de Nisargadatta Maharaj et  publiée dans – “I am That” Acorn Press

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