Je Suis 45 – Ce qui va et vient n’a pas d’existence propre

Ce qui va et vient n’a pas d’existence propre


Visiteur : Je suis venu pour être avec vous, plutôt que pour écouter. Peu de choses peuvent être dites avec des mots, beaucoup plus peuvent être transmises dans le silence.
Nisargadatta Maharaj : D’abord les mots, puis le silence. Il faut être mûr pour le silence.

V : Puis-je vivre dans le silence ?
N.M : Le travail désintéressé conduit au silence, car lorsqu’on travaille de façon désintéressée, on n’a pas besoin de demander de l’aide. Indifférent aux résultats, vous êtes prêt à travailler avec les moyens les plus inadéquats. Vous ne vous souciez pas d’être très doué et bien équipé. Vous ne demandez pas non plus de reconnaissance ni d’aide. Vous faites ce qui doit être fait, laissant le succès et l’échec à l’inconnu. Car tout est dû à d’innombrables facteurs, dont votre effort personnel n’est qu’un parmi d’autres. Mais la magie de l’esprit et du cœur de l’homme est telle que le plus improbable se produit lorsque la volonté humaine et l’amour s’unissent.
V : Qu’y a-t-il de mal à demander de l’aide quand le travail en vaut la peine ?
N.M : Où est la nécessité de demander ? C’est simplement une preuve de faiblesse et d’anxiété. Travaillez, et l’univers travaillera avec vous. Après tout, l’idée même de faire ce qu’il faut vous vient de l’inconnu. Laissez faire l’inconnu en ce qui concerne les résultats, contentez-vous de suivre les mouvements nécessaires. Vous n’êtes qu’un des maillons de la longue chaîne de causalité. Fondamentalement, tout se passe dans l’esprit. Lorsque vous travaillez de tout votre cœur et avec constance pour quelque chose, cela se produit, car c’est la fonction de l’esprit de faire en sorte que les choses se produisent. En réalité, rien ne manque et rien n’est nécessaire, tout le travail n’est qu’en surface. Dans les profondeurs, la paix est parfaite. Tous vos problèmes surviennent parce que vous vous êtes défini et donc limité. Lorsque vous ne vous considérez pas comme ceci ou cela, tous les conflits cessent. Toute tentative de faire quelque chose pour résoudre vos problèmes est vouée à l’échec, car ce que vous êtes ne peut être défait que dans l’absence de désir. Vous vous êtes enfermés dans le temps et l’espace, vous vous êtes comprimés dans la durée d’une vie et le volume d’un corps et avez ainsi créé les innombrables conflits de la vie et de la mort, du plaisir et de la douleur, de l’espoir et de la peur. On ne peut se débarrasser des problèmes sans abandonner les illusions.
V : Une personne est naturellement limitée.
N.M : La personne n’existe pas. Il n’y a que des restrictions et des limitations. C’est la somme de celles-ci qui définit la personne. Vous pensez vous connaître quand vous savez ce que vous êtes. Mais vous ne savez jamais qui vous êtes. La personne semble simplement être, comme l’espace à l’intérieur du pot semble avoir la forme, le volume et l’odeur du pot. Voyez que vous êtes pas ce que vous croyez être. Luttez avec toute la force dont vous disposez contre l’idée que vous êtes nommable et descriptible. Vous ne l’êtes pas. Refusez de vous penser en termes de ceci ou de cela. Il n’y a pas d’autre moyen de sortir de la misère, que vous avez créée pour vous-même en l’acceptant aveuglément, sans chercher à savoir. La souffrance est un appel à la recherche, toute douleur nécessite une investigation. Ne soyez pas paresseux dans votre investigation.
V : L’activité est l’essence même de la réalité. Il n’y a pas de vertu à ne pas travailler. En même temps que la pensée, il faut faire quelque chose.
N.M : Travailler dans le monde est difficile, s’abstenir de tout travail inutile est encore plus difficile.
V : Pour la personne que je suis, tout cela semble impossible.
N.M : Que savez-vous de vous-même ? Vous ne pouvez être que ce que vous êtes en réalité ; vous ne pouvez paraître que ce que vous n’êtes pas. Vous ne vous êtes jamais éloigné de la perfection. Toute idée d’amélioration de soi est conventionnelle et verbale. De même que le soleil ne connaît pas l’obscurité, de même le Soi ne connaît pas le non-soi. C’est l’esprit qui, en connaissant l’autre, devient autre. Pourtant, l’esprit n’est rien d’autre que le Soi. C’est le Soi qui devient l’autre, le non-soi, tout en restant le Soi. Tout le reste est une hypothèse. Tout comme un nuage obscurcit le soleil sans l’affecter, l’hypothèse obscurcit la réalité sans la détruire. L’idée même de la destruction de la réalité est ridicule ; le destructeur véritable est toujours plus réel que le détruit. La réalité est l’ultime destructeur. Toute séparation, toute forme d’éloignement et d’aliénation est fausse. Tout est un – c’est la solution ultime de tout conflit.
V : Comment se fait-il qu’en dépit de tant d’instructions et d’assistance, nous ne progressions pas ?
N.M : Tant que nous nous imaginons être des personnalités séparées, l’une par rapport à l’autre, nous ne pouvons pas saisir la réalité qui est essentiellement impersonnelle. Nous devons d’abord nous connaître comme de simples témoins, des centres d’observation sans dimension et intemporels, puis réaliser cet immense océan de pure conscience, qui est à la fois le mental et la matière et au-delà des deux.
V : Quoi que je sois en réalité, j’ai l’impression d’être une personne petite et séparée, une parmi d’autres.
N.M : Le fait que vous soyez une personne est dû à l’illusion de l’espace et du temps ; vous vous imaginez être à un certain moment en train d’occuper un certain volume ; votre personnalité est due à votre auto-identification avec le corps. Vos pensées et vos sentiments se succèdent, ils s’inscrivent dans le temps et vous permettent de vous imaginer, grâce à la mémoire, comme ayant une durée. En réalité, le temps et l’espace existent en vous ; vous n’existez pas en eux. Ce sont des modes de perception, mais ce ne sont pas les seuls. Le temps et l’espace sont comme des mots écrits sur du papier ; le papier est réel, les mots ne sont qu’une convention. Quel âge avez-vous ?
V : Quarante-huit ans !

N.M : Qu’est-ce qui vous fait dire quarante-huit ? Qu’est-ce qui vous fait dire : Je suis ici ? Des habitudes verbales nées de suppositions. Le mental crée le temps et l’espace et prend ses propres créations pour la réalité. Tout est ici et maintenant, mais nous ne le voyons pas. En vérité, tout est en moi et par moi. Il n’y a rien d’autre. L’idée même d’un “autre” est un désastre et une calamité.
V : Quelle est la cause de la personnification, de l’autolimitation dans le temps et l’espace ?
N.M : Ce qui n’existe pas ne peut avoir de cause. Il n’existe pas de personne distincte. Même en adoptant un point de vue empirique, il est évident que tout est la cause de tout, que tout est comme il est, parce que l’univers entier est comme il est.
V : Pourtant, la personnalité doit avoir une cause.
N.M : Comment la personnalité naît-elle ? Par la mémoire. En identifiant le présent avec le passé et en le projetant dans le futur. Pensez que vous êtes momentané, sans passé ni futur, et votre personnalité se dissout.
V : Le “je suis” ne demeure-t-il pas ?
N.M : Le mot “rester” ne s’applique pas. Le “je suis” est toujours nouveau. Vous n’avez pas besoin de vous souvenir pour être. En fait, avant que vous puissiez faire l’expérience de quoi que ce soit, il faut qu’il y ait le sens de l’être. À l’heure actuelle, votre être est mêlé à l’expérience. Tout ce dont vous avez besoin, c’est de démêler l’être de l’enchevêtrement des expériences. Une fois que vous aurez connu l’être pur, sans être ceci ou cela, vous le discernerez parmi les expériences et vous ne serez plus induit en erreur par les noms et les formes.
L’autolimitation est l’essence même de la personnalité.

V : Comment puis-je devenir universel ?
N.M : Mais vous êtes universel. Vous n’avez pas besoin et vous ne pouvez pas devenir ce que vous êtes déjà. Cessez seulement de vous imaginer que vous êtes le particulier. Ce qui va et vient n’existe pas. Il doit son apparence même à la réalité. Vous savez qu’il y a un monde, mais le monde vous connaît-il ? Toute connaissance découle de vous, en tant que tout être et toute félicité. Réalisez que vous êtes la source éternelle et acceptez tout comme étant vôtre. Cette acceptation est le véritable amour.
V : Tout ce que vous dites semble très beau. Mais comment peut-on en faire un mode de vie ?
N.M : N’ayant jamais quitté la maison, vous demandez le chemin de la maison. Débarrassez-vous des idées fausses,
c’est tout. Rassembler des idées justes ne vous mènera nulle part. Cessez simplement d’imaginer.
V : Ce n’est pas une question d’accomplissement, mais de compréhension.

N.M : N’essayez pas de comprendre ! Il suffit de ne pas mal comprendre. Ne comptez pas sur votre mental pour vous libérer. C’est le mental qui vous a conduit à la servitude. Dépassez-le complètement.
Ce qui est sans commencement ne peut avoir de cause. Ce n’est pas parce que vous saviez ce que vous êtes que vous l’avez oublié. Une fois que vous savez, vous ne pouvez pas oublier. L’ignorance n’a pas de commencement, mais elle peut avoir une fin. Demandez qui est ignorant et l’ignorance se dissoudra comme un rêve. Le monde est plein de contradictions, d’où votre recherche d’harmonie et de paix. Vous ne pouvez pas les trouver dans le monde, car le monde est l’enfant du chaos. Pour trouver l’ordre, il faut chercher à l’intérieur de soi. Le monde ne naît que lorsque vous naissez dans un corps. Sans corps, pas de monde. Demandez-vous d’abord si vous êtes le corps. La compréhension du monde viendra plus tard.
V : Ce que vous dites semble convaincant, mais quelle est l’utilité pour l’individu qui se sait dans le monde et du monde ?
N.M : Des millions de personnes mangent du pain, mais peu connaissent le blé. Et seuls ceux qui savent peuvent améliorer le pain. De même, seuls ceux qui connaissent le Soi, qui ont vu au-delà du monde, peuvent améliorer le monde. Leur valeur pour les individus est immense, car ils sont leur seul espoir de salut. Celui qui se croit du monde ne peut pas sauver le monde ; si vous voulez vraiment aider le monde, vous devez en sortir.
V : Mais peut-on sortir du monde ?
N.M : Qui est né en premier, vous ou le monde ? Tant que vous donnez la première place au monde, vous êtes lié par lui ; une fois que vous réalisez, sans l’ombre d’un doute, que le monde est en vous et non vous dans le monde, vous êtes hors du monde. Bien sûr, votre corps reste dans le monde et du monde, mais vous n’êtes pas trompé par lui. Toutes les écritures disent qu’avant que le monde ne soit, le Créateur était. Qui connaît le Créateur ? Lui seul, qui était avant le Créateur, votre propre être réel, la source de tous les mondes et de leurs créateurs.
V : Tout ce que vous dites est soutenu par votre hypothèse selon laquelle le monde est votre propre projection. Vous admettez que vous parlez de votre monde personnel, subjectif, le monde qui vous est donné par vos sens et votre esprit. En ce sens, chacun d’entre nous vit dans un monde de sa propre projection. Ces mondes privés se touchent à peine et ils naissent et se fondent dans le “Je Suis” qui est en leur centre. Mais derrière ces mondes privés, il doit y avoir un monde objectif commun, dont les mondes privés ne sont que des ombres. Niez-vous l’existence d’un tel monde objectif, commun à tous ?
N.M : La réalité n’est ni subjective ni objective, ni l’esprit ni la matière, ni le temps ni l’espace. Ces divisions ont besoin de quelqu’un à qui elles se produisent, d’un centre séparé et conscient. Mais la réalité est tout et rien, la totalité et l’exclusion, la plénitude et le vide, totalement cohérente, absolument paradoxale. On ne peut pas en parler, on ne peut que s’y perdre. Lorsque vous niez la réalité de quoi que ce soit, vous arrivez à un ‘résidu’ qui ne peut être nié. Parler de jnana, c’est faire preuve d’ignorance. C’est l’esprit qui s’imagine qu’il ne sait pas et qui vient ensuite à savoir. La réalité ne connaît pas ces contorsions. Même l’idée de Dieu en tant que Créateur est fausse. Dois-je mon existence à un autre être ? Ce ‘Je suis’, est tout.
V : Comment est-ce possible ? Un enfant naît dans le monde, et non le monde dans l’enfant. Le monde est vieux et l’enfant est nouveau.
N.M : L’enfant naît dans votre monde. Or, êtes-vous né dans votre monde ou votre monde vous est-il apparu ? Naître signifie créer un monde dont le centre est soi-même. Mais est-ce que vous vous créez vous-même ? Ou est-ce que quelqu’un vous a créé ? Chacun se crée un monde et y vit, prisonnier de son ignorance. Tout ce que nous avons à faire, c’est de nier la réalité de notre prison.
V : Tout comme l’état de veille existe sous forme de graine pendant le sommeil, le monde que l’enfant crée à sa naissance existait déjà avant sa naissance. Avec qui se trouve la graine ?
N.M : Avec celui qui est le témoin de la naissance et de la mort, mais qui n’est ni né ni mort. Lui seul est le germe de la création et son résidu. Ne demandez pas au mental de confirmer ce qui est au-delà du mental. L’expérience directe est la seule confirmation valable.

Nisargadatta Maharaj
Extrait traduit pour www.meditations-avec-sri-Nisargadatta-Maharaj.com .  Version originale éditée par Maurice Frydman à partir des enregistrements en Marathi de Nisargadatta Maharaj et  publiée dans – “I am That” Acorn Press

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