Je Suis 59 – souffrance du monde

Désir et peur : des états égocentriques

Visiteur : Je voudrais revenir sur la question du plaisir et de la douleur, du désir et de la peur.
Je comprends la peur comme étant la mémoire et l’anticipation de la douleur. Elle est essentielle pour la préservation de l’organisme et de son mode de vie. Les besoins, lorsqu’ils sont ressentis, sont douloureux et leur anticipation est pleine de peur.
Nous avons peur, à juste titre, de ne pas pouvoir satisfaire nos besoins fondamentaux.
Le soulagement ressenti lorsqu’un besoin est satisfait ou qu’une angoisse est apaisée est entièrement dû à l’arrêt de la douleur.
Nous pouvons lui donner des noms positifs tels que plaisir, joie ou bonheur, mais il s’agit essentiellement d’un soulagement de la douleur. C’est cette peur de la douleur qui maintient la cohésion de nos institutions sociales, économiques et politiques.
Ce qui me laisse perplexe, c’est que nous tirons du plaisir de choses et d’états d’esprit qui n’ont rien à voir avec la survie.
Au contraire, nos plaisirs sont généralement destructeurs. Ils
Ils endommagent ou détruisent l’objet, l’instrument et le sujet du plaisir. Autrement, le plaisir et la recherche du plaisir ne poseraient pas de problème. Cela m’amène au cœur de ma question : pourquoi le plaisir est-il destructeur ? Pourquoi, en dépit de son caractère destructeur, est-il désiré ?
Je dois ajouter que je n’ai pas à l’esprit le schéma plaisir-douleur par lequel la nature nous contraint à suivre son chemin.
. Je pense aux plaisirs créés par l’homme, à la fois sensoriels et subtils, allant des plaisirs les plus grossiers, comme la suralimentation, l’alcoolisme et la toxicomanie. L’addiction au plaisir, quel qu’en soit le prix, est tellement
universelle qu’il doit y avoir quelque chose de significatif à la racine.
Bien sûr, toutes les activités de l’homme ne doivent pas être utilitaires, c’est-à-dire conçues pour répondre à un besoin.
Le jeu, par exemple, est naturel et l’homme est l’animal le plus joueur qui soit. Le jeu répond au besoin de découverte et de développement de soi. Mais même en jouant, l’homme devient destructeur de la nature, des autres et de lui-même.

Nisargadatta Maharaj : En résumé, vous ne vous opposez pas au plaisir, mais seulement à son prix, qui est la douleur et le chagrin.
V : Si la réalité elle-même est béatitude, alors le plaisir doit lui être lié d’une manière ou d’une autre.
N.M : Ne procédons pas par logique verbale. La félicité de la réalité n’exclut pas la souffrance.
De plus, vous ne connaissez que le plaisir, pas la félicité de l’être pur. Examinons donc le plaisir à son propre niveau.
Si vous vous observez dans vos moments de plaisir ou de douleur, vous constaterez invariablement que ce n’est pas la chose en soi qui est agréable, mais bien le plaisir.
Ce n’est pas la chose en soi qui est agréable ou douloureuse, mais la situation dans laquelle elle s’inscrit.
Le plaisir réside dans la relation entre celui qui goûte et ce qui est goûté. Et l’essence de ce plaisir est l’acceptation. Quelle que soit la situation, si elle est acceptable, elle est agréable.
Si elle n’est pas acceptable, elle est douloureuse. Ce qui la rend acceptable n’est pas important ; la cause peut être physique, psychologique ou introuvable ; l’acceptation est le facteur décisif. Inversement, la souffrance est due à la non-acceptation.
V : La douleur n’est pas acceptable.
N.M : Pourquoi pas ? Avez-vous déjà essayé ? Essayez et vous trouverez dans la douleur une joie que le plaisir ne peut pas procurer, pour la simple raison que l’acceptation de la douleur vous emmène beaucoup plus profondément en Vous que ne le fait le plaisir. Le moi personnel, de par sa nature même, poursuit constamment le plaisir et évite la douleur.
La fin de ce schéma est la fin du moi. La fin du moi avec ses désirs et ses peurs vous permet de revenir à votre véritable Nature – la source de tout bonheur et de toute paix.
Le désir perpétuel de plaisir est le reflet de l’harmonie intemporelle qui règne à l’intérieur. C’est un fait que l’on ne prend conscience de soi que lorsqu’on est pris dans le conflit entre le plaisir et la douleur, qui exige un choix et une décision.
C’est ce conflit entre le désir et la peur qui provoque la colère, qui est le grand destructeur de la santé mentale dans la vie. Lorsque la douleur est acceptée
pour ce qu’elle est, une leçon et un avertissement, et qu’elle est examinée en profondeur et prise en compte, la séparation entre la douleur et le plaisir se brise, les deux deviennent des expériences – douloureuses lorsqu’on y résiste, joyeuses lorsqu’on les accepte.
V : Conseillez-vous de fuir le plaisir et de rechercher la douleur ?
N.M : Non, ni de rechercher le plaisir et de fuir la douleur. Acceptez les deux comme ils viennent, appréciez-les tant qu’ils durent, puis laissez-les partir, comme il se doit.
V : Comment puis-je apprécier la douleur ? La douleur physique appelle l’action.
N.M : Bien sûr. Et il en va de même pour la douleur mentale. La félicité est dans la présence de la douleur, dans le fait de ne pas s’y soustraire ou de s’en détourner de quelque façon que ce soit. Tout le bonheur vient de la présence. Plus nous sommes conscients, plus la joie est profonde. L’acceptation de la douleur, la non-résistance, le courage et l’endurance ouvrent les sources profondes et pérennes du vrai bonheur, de la vraie félicité.
V : Pourquoi la douleur serait-elle plus efficace que le plaisir ?
N.M : Le plaisir est facilement accepté, alors que toutes ces forces le moi rejettent la douleur. Comme l’acceptation de la douleur est la négation du moi, et le moi fait obstacle au vrai bonheur, l’acceptation sans réserve de la douleur libère les sources du vrai bonheur.
V : L’acceptation de la souffrance agit-elle de la même façon ?
N.M : Le fait de souffrir est facilement porté à la connaissance de la présence. Avec la souffrance, ce n’est pas aussi simple. Se concentrer sur la souffrance ne suffit pas, car la vie mentale, telle que nous la connaissons, n’est qu’un flux continu de souffrance. Pour atteindre les couches les plus profondes de la souffrance, il faut aller jusqu’à ses racines et découvrir leur vaste réseau souterrain où la peur et le désir sont étroitement imbriqués et où les courants de l’énergie vitale s’opposent, s’obstruent et se détruisent mutuellement.
V : Comment puis-je redresser un enchevêtrement qui se trouve entièrement en dessous du niveau de ma conscience ?

N.M : En étant avec Vous-même, le “Je suis” ; en vous observant dans votre vie quotidienne avec un intérêt vigilant, avec l’intention de comprendre plutôt que d’essayer de juger, en acceptant pleinement tout ce qui peut émerger, parce que c’est là.
Ainsi ,vous encouragez la profondeur à remonter à la surface et à enrichir votre vie et votre conscience de ses énergies captives. C’est le grand travail de la présence ; elle élimine les obstacles et libère les énergies en comprenant la nature de la vie et de l’esprit. L’intelligence est la porte de la liberté et l’attention vigilante est la mère de l’intelligence.

V : Une dernière question. Pourquoi le plaisir se termine-t-il par la douleur ?
N.M : Tout a un début et une fin et il en va de même pour le plaisir. N’anticipez pas et ne regrettez pas, et il n’y aura pas de douleur. C’est la mémoire et l’imagination qui causent la souffrance.
Bien sûr, la douleur après le plaisir peut être due à un mauvais usage du corps ou de l’esprit. Le corps connaît sa mesure, mais l’esprit ne la connaît pas. Ses appétits sont innombrables et illimités.
Surveillez votre esprit avec une grande diligence, car c’est là que se trouve votre servitude, mais aussi la clé de la liberté.
V : Ma question n’a pas encore reçu de réponse complète : Pourquoi les plaisirs de l’homme sont-ils destructeurs ? Pourquoi les plaisirs de l’homme sont-ils destructeurs ? Le souci de la vie est de se protéger, de se perpétuer et de s’étendre. Pour ce faire, elle est guidée par la douleur et le plaisir. À quel moment deviennent-ils destructeurs ?
N.M : Lorsque le mental prend le dessus, se souvient et anticipe, il exagère, il déforme, il néglige. Le passé est projeté dans le futur et le futur trahit les attentes.
Les organes de la sensation et de l’action sont stimulés au-delà de leur capacité et arrivent à leurs limites inévitablement. Les objets de plaisir ne peuvent produire ce que l’on attend d’eux et s’usent, voire se détruisent, à force d’être utilisés à mauvais escient. Il en résulte un excès de douleur là où l’on recherchait le plaisir.
V : Nous nous détruisons non seulement nous-mêmes, mais aussi les autres !
N.M : Naturellement, l’égoïsme est toujours destructeur. Le désir et la peur sont tous deux des états égocentriques. Entre le désir et la peur naît la colère, avec la colère la haine, avec la haine les passions pour la destruction.
destruction. La guerre est la haine en action, organisée et équipée de tous les instruments de la mort.

V : Existe-t-il un moyen de mettre fin à ces horreurs ?
N.M : Lorsque davantage de personnes connaîtront leur véritable nature, leur influence, aussi subtile soit-elle, prévaudra et les émotions du monde s’en trouveront modifiées.
Les êtres humains suivent leurs leaders et lorsque, parmi les leaders, certains apparaissent, grands de cœur et d’esprit, et absolument libres de tout égoïsme, leur impact est considérable.
Un nouvel âge d’or peut venir, durer un certain temps et succomber à sa propre perfection. En effet, le reflux commence lorsque la marée est à son plus haut niveau.

V : La perfection permanente n’existe-t-elle pas ?
N.M : Si, mais elle inclut toutes les imperfections. C’est la perfection de notre nature propre qui rend tout possible, perceptible et accessible.
Elle ne connaît pas la souffrance, car elle n’aime ni ne déteste, elle n’accepte ni ne rejette. Création et destruction sont les deux pôles entre lesquels elle tisse sa trame toujours changeante. Si l’on se libère des prédilections et des préférences, l’esprit, avec son fardeau de préférences et le mental, avec son fardeau de chagrin, n’existera plus.
V : Mais je ne suis pas seul à souffrir. Il y en a d’autres.
N.M : Quand vous allez vers eux avec vos désirs et vos craintes, vous ne faites qu’ajouter à leurs peines. D’abord commencez par vous libérer de la souffrance, et ensuite seulement vous pourrez aider. Vous n’avez même pas besoin d’espérer – votre existence même sera alors la plus grande aide qu’un homme puisse apporter à ses semblables.

Nisargadatta Maharaj
Extrait traduit pour www.meditations-avec-sri-Nisargadatta-Maharaj.com .  Version originale éditée par Maurice Frydman à partir des enregistrements en Marathi de Nisargadatta Maharaj et  publiée dans – “I am That” Acorn Press

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